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6 octobre 2015 2 06 /10 /octobre /2015 09:26

Grand, élancé, démache assuré dans un imperméable en cuir légèrement trop grand au col redressé, l’homme faisait éclaté chacun de ses pas sur la chaussée mouillée. Le ciel se ternissait en cette fin de journée. Les nuages commençaient à peine à se clairsemer après l’orage. La terre sentait le chaud, le macadam, le plastique décomposé. Il allait en avant ou plutôt il allait quelque part, décidé. La journée se finissait mais la nuit ne faisait qu’amorcer ses promesses derrière ses couleurs bleuissantes et noircissantes.

Ne le regardant que du coin du l’oeil puis séduit et l’observant totalement, il me semblait le connaître déjà. Il avait cette aura fumante d’un chasseur fébrile à la découverte de sa proie tout juste abattue, celle de l’orateur qui vient de ponctuer sa dernière phrase, le regard perdu dans la foule hébêtée, haletante déjà dans le souvenir du dernier mot déclaré avec tant de force et paradoxalement cette aura du pianiste qui vient de s’installer derrière son clavier, les mains au dessus des premières notes à jouer, dans le public, plus un souffle, ils anticipent déjà le premier accord.

Il y avait tout ça durant les quelques secondes qui le firent passer devant moi. Dans les vitres réfléchissantes de la rue de quelque bâtiment anonymes, je m’étais vu les cheveux s’élever doucement, soufflé par son élan, son souffle. Pétrifiée, j'étais restée muette et agadie, n’osant brisée la magie de cet instant fugace…

Il me dépassa vite et bien, bien vite.

C’est alors qu’au tournant de la rue qu’il avait déjà amorcé dans un dérapage, il me héla :" il ne faut pas rester là, venez". Sa voix était grave, chaude et assurée. Les mots ne rentraient dans mon esprit que l'un après l'autre...

Je regardais autour, derrière moi, personne sinon le ciel maintenant bleue nuit. La nuit était tombée bien vite décidément. Je voyais déjà la lune montée.

Je regardais à gauche, l’homme était revenu vers moi. Sans mot dire, sans même me regarder dans les yeux, il me balança vivement sur son épaule. Je ne fis aucun geste encore surgelée sur place.

Ce n’est qu’une centaine de mètre plus loin que je m’agitais comme reprenant mes esprits. Je ne rêvais pas... Qui était cet homme sans cheval blanc pour m’enlever ainsi qui ne suis ni princesse, ni coeur à prendre ? Je m'agitais, il me reposa vivement et me pressa doucement l’épaule, il me demanda avant même que je commence à vociférer. Il avait les yeux bigarrés, un marron, un vert, une bouche bien dessinée, les dents blanches, les cheveux sombres mi-longs, mouillés par la pluie, il n'était pas rasé depuis plusieurs jours et les cernes qui tiraient ces yeux montraient qu'il n'avait sans doute pas regagner son domicile depuis quelques temps.

"Vous allez mieux ? Sa voix était confiante grave et séduisante. Contre toute attente, je rougissais vivement. Je voulais lui gueuler dessus et en même temps j'avais honte de m'être laisser séduite comme ça. Je ne me reconnaissais pas.

“Les mangeurs de temps se pressent ce soir. Il ne faut pas rester là.”

Sur ses paroles énigmatiques qui ne faisaient aucun sens pour moi, il me prit la main et se mit à courir, je le suivais sans mot dire. Il jeta un regard derrière lui, je regardais à mon tour, là bas où je me trouvais quelques secondes plus tôt, c’était déjà le matin. Il n’y avait plus personne. Où je me trouvais c’était encore le présent. Je courrais donc.

“Où sont les gens ?” lui criais-je

“Ils vont trop vite maintenant”

“Mais nous courrons bien”

“C’est parce qu’ils ne courent pas justement qu’ils vont trop vite."

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6 octobre 2015 2 06 /10 /octobre /2015 09:12

Les rêves se sont imbriquées,

Dans leurs morcellements forcées,

Ils renaissent, patchwork indécent

Comme un corps recomposé

Ces parties sont miennes

Ces parties sont tiennes

On colle quoiqu’il advienne

Faut bien coller sinon se détacher

On s’ébruite, on s’éffrite…

Le vent souffle, on s’érode.

Le colosse a bien les pieds fragiles

Et pourtant, c’est tout ce qu’il en reste.

Les respirations sont saccadées,

Saccagées, dans les limbes des marécages

Les perspirations sont encagées.

La sauvagerie endiguée, on participe au passé plutôt qu’au présent.

Les en-avant sont fortuits, on lutte pour ne pas reculer.

Le vent souffle, on s’érode.

Les rêves en poudre n’ont plus que les larmes pour être ingérés,

On digère plus, on nous dit gère, les responsabilités dégueulassées

Les godasses niquées. On a déjà trop marché.

On s’ébruite, on s’fritte et on s’éffrite…

Le vent souffle, on s’érode.

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9 août 2011 2 09 /08 /août /2011 07:23

« Bienvenue, bienvenue à toutes et à tous. Bienvenue chez Spirit Entertainment, plus qu’un parc d’attraction pour tout publique, plus qu’un cirque exotique venu des confins du monde, plus que le plus grand match de tous les temps et toutes disciplines, Spirit Entertainment, c’est l’attraction la plus incroyable depuis que l’homme est l’homme, depuis qu’il a commencé à rêver, l’attraction… c’est… VOUS. »

L’homme qui vient de faire l’annonce, bosse dans une entreprise qui faisait dans le divertissement de la haute société. Après seulement un an, la boîte a connu une renommée qui a bouleversé toute la hiérarchie sociale. On a vu les familles les plus prestigieuses ruinées après quelques mois seulement et finir par tomber dans l’oubli. Comme si, ce qu’il s’y passait était meilleur et plus grand que toutes les drogues. Les quelques témoignages reçus n’avaient donné que des interrogations car personne n’avait vu, ressentit, vécu comme disaient certains, la même chose. Si l’attraction c’est nous … qui amusons nous ? Peut-il y avoir encore de l’amusement ?

Moi ? oui, pardon. Je m’appelle Archibald Leirchreister… Vous n’aurez qu’à m’appeler Archi, mes petits camarades de classes ont assez eut de mal à prononcer mon nom sans que vous dussiez en ajouter en le lisant.

Reprenons au début, Spirit était tout petite alors mais se permettait de proposer un spectacle pour l’élite seulement et ce une seulement fois par mois et pour pas plus de dix personnes à la fois. Vous imaginez très bien comment réagit une classe de nantis à qui l’on ferme quelques portes. Ils font tout pour y être et à n’importe quel prix. Les enchères sont montées au point que Spirit s’est engraissée sans plus de publicité. D’aucuns aurait pu y voir une des meilleurs arnaques qu’avait vu ce dernier siècle, mais… il y avait vraiment quelque chose car sinon, il n’aurait pas fait ce qui m’a permis d’être là, proposer gratuitement la plus grande expérience que l’on pourrait avoir de notre vie (enfin c’est ce qu’ils disent). Bon, du coup, le vieil Archi s’est mis dans la partie car après tout, tout le monde en était revenu de cette expérience…

Celui qui parle est habillé en monsieur loyal rutilant avec un costume en papier écran, si bien que des motifs y apparaissent se transformant doucement en autres. Si c’est ça la grande illusion, du papier électronique de très bonne qualité… Nous sommes deux cinquante-six à avoir été tiré au sort. Moi qui me plaignait de ne jamais rien gagné par hasard, mes voisins et ma famille m’ont envié, ce qui me rend perplexe et je ne sais pas pourquoi, je dirai même méfiant…

La salle où il nous emmène a tout du vieux théâtre. Sièges rouge en velours, teinture de la même texture, des lustres en cristal scintillent haut et sous la moindre baignoire, des appliques projettent une lumière douce et pailletée. Le plafond reprend une des scènes de l’école olympienne : des anges ventrus voir bedonnant donnant à boire à je-ne-sais-quel Dieux du plaisir ou du divertissement… Le monsieur Loyal connaît bien son affaire, il nous enivre presque rien qu’avec ses paroles…

« Prenez place, prenez place, gentes demoiselles, gentilles dames et gentils messieurs ! Le spectacle va bientôt commencer… mais avant toute chose, quelques explications s’imposent. Nous ne voudrions pas voir quelque esprit affolé et craintif à l’idée qu’il ne sait rien sur ce qu’il va voir… Dans le dos du fauteuil qui se trouve devant vous, vous y trouverez une paire de lunette noire, ainsi qu’un casque anti-bruit. Curieux n’est-ce pas pour observer ce show que de se priver de ces sens essentiels. Mais voilà le secret. Vous allez voir ce que vous désirez voir parce que nous saurons en temps réel ce que vous voulez voir. Vous allez entendre ce que vous désirez entendre parce que nous saurons immédiatement ce que vous voulez entendre… Nous allons un peu « lire » dans vos esprits au moyen simples de capteurs situés sous vos sièges. N’ayez nulle crainte, tout le monde en est revenu vivant et mieux, bienheureux d’une telle expérience qu’il ne souhaite que recommencer encore, encore, encore et encore ! Ahahah, quand je dis lire, ne vous inquiétez pas non plus, nous ne percerons pas à jour le code de vos comptes bancaires ni les regards que vous entretenez sur votre voisin ou votre voisine à l’écart du regard de votre épouse ou époux. Nous sommes aveugles sur bien des points encore. De plus, nous ne vous forçons pas à émettre. Vous émettrez sur votre seule volonté, nous ne recueillons que les images qui proviennent de votre cerveau. Ces images sont « disséquées » à fin d’éviter que vous glissiez vers quelque chose de cauchemardesque. L’esprit glisse sans cesse et pour que vous n’ayez pas à vous concentrer sur autre chose que le plaisir, nous y mettons des gardes fous…

_ Hého !

_ Oui… monsieur ?

_ Archibald Leirchreister, j’aurai des questions…

_ Monsieur Leich… Leirchei

_ Laissez tomber vous n’y arriverez pas…

_ Moui, ne voulez pas les poser après le spectacle pour éviter de prendre du retard. J’ai encore beaucoup de choses à expliquer. Je ne voudrai impatienter cette noble assemblée.

_ Noble, mon cul oui ! Je préfère savoir avant qu’après… J’aime bien faire sensation au milieu des gens. On entend toujours des petits bruits de personnes un peu outrées par mon comportement et les autres qui s’en amusent, on est entre le gloussement gêné et le gloussement surpris et ravis..

_ Hé bien, je vous écoute.

_ Pourquoi sommes-nous tous ensemble, je veux dire. On pourrait faire ça chez nous ? Non ? Genre une console de salon en fait.

_ Hahaha, voilà une question intéressante. Hé bien, Spirit Entertainment développe en ce moment même une telle console mais il est avant tout de notre devoir de nous assurer du bon fonctionnement de la machine et surtout pour rester dans les critères qui ont été définis lors de la création de l’entreprise à savoir principalement, qu’il s’agit d’une offre de divertissement pour tous quelques soient les âges, les pensées, les croyances. Nous devons nous assurés que s’il y a de l’érotisme dans une de vos images, cela ne tourne pas au sexe ; que s’il y a de la bagarre, cela ne tourne pas au règlement de compte sanglant. Le fait de vous trouver les uns auprès des autres, le fait surtout que vous savez que vous vous trouvez au milieu d’une assemblée, impose de lui-même un tabou à l’énonciation d’un désir caché. Ceci facilite beaucoup notre crible lorsque nous réémettons les images en vous.

_ Remettre les images en nous, n’est-ce pas finalement une autre drogue ou bien de nous formater ?

_ Hahaha, encore une autre question intéressante. La technologie de Spirit Entertainment permet simplement de vous faire entrer en transe avec vos propres images. Par le même chemin que vos cerveaux vont émettre des « idées » nous allons les ordonner, les canaliser, et stimuler simplement les aires de la vision et de l’audition. Nous ne forçons pas le cerveau à accepter de nouvelles idées. Chaque cerveau étant unique, il n’y a pas lieu que vous « voyez » le spectacle d’un autre. Le fait de vous cacher les yeux et les oreilles empêchent simplement des stimuli extérieurs qui vous feraient revenir à vous. Il suffirait en cas de problème de vous enlever les lunettes et d’allumer la lumière…

_ Jamais rien n’est arrivé de spécial ou d’étrange ?

_ Oh, je dois bien admettre que si… un petit sourire en coin s’étend doucement. Il est fort ce bougre. Sûr qu’il va nous sortir l’anecdote qui fera rire tout le monde pour mieux le préparer…

_ Nous avons eu des jumeaux. Ils avaient le même front d’onde cérébrale du coup, les désirs de l’un et de l’autre étaient envoyés aux deux en même temps. …Mais… « et voilà la chute »…c’étaient des jumeaux, ils désiraient la même chose…Ah ah ah. Je ris. En fait non, je ne ris pas… Il est con. Sûr qu’il n’y a jamais eu de jumeaux ou de trucs aussi débiles. Les trucs qui feraient fuir c’est clair qu’ils ne vont pas l’annoncer de but en blanc…

_ Préparez à vous au plus grand show de votre vie. Dans les premiers instants, quelques images s’afficheront à intervalle régulier au fond des lunettes de manière à vous donner votre première envie… Seulement des lunettes noires ? Je savais que c’était louche…

 

 

Un flash

Un bateau

Ecran noir

Un cirque

Un flash

Un cheval

Après environ trente secondes, cela s’arrête, je me rends compte que je ferme les yeux malgré moi et que je vois des choses comme si je rêvais. Je suis à mon bureau, chez moi, je joue. C’est un jeu de stratégie en temps réel. Je ne reconnais pas les graphismes mais c’est amusant, je produis des tas d’unités différentes et toutes ont des pouvoirs fantastiques. Mon but est de détruire une ville entière et c’est plutôt amusant, il n’y a pas beaucoup d’oppositions à part beaucoup de cris comme si les gens que je brûlais, dépeçais, ressentait une douleur si intense que les hurlements me parvenaient directement et pas comme ce à quoi on pourrait s’attendre dans un jeu vidéo. Je m’en rends compte et n’aime pas du tout ça. Je me réveille.

Je n’entends qu’un léger bourdonnement venant sans doute du système de ventilation quand d’un seul coup, mon casque m’ait littéralement arraché, je ne vois pas grand-chose, je suis aveuglé par cet afflux violent de lumière. Je cherche à me lever mais deux gardes de la sécurité, me soulèvent et me traînent. J’ai beau me débattre, je n’arrive à rien sinon à me faire davantage souffrir. Je parviens seulement à tourner la tête pour avoir une vue furtive des gens dans la salle. Tous ceux que je distingue ont la bouche ouverte, ils crient et dans un éclair de lucidité, je m’évanouis

Je me réveille, mouillé. La pièce est parsemée d’ombres jetées par une simple ampoule pendue à un fil qui se balance doucement.

Je reçois un nouveau seau d’eau.

_ Patron, il reprend ses esprits.

_ Bien, laissez-nous. Il se place quasi dans la lumière. Je distingue ses vêtements qui changent de motifs

_ Monsieur Loyal… Je dis ça dans une sorte de murmure gutturale. J’ai la rage et j’ai la haine. Je ne sais pas pourquoi, l’impression que lui et sa société, spirit entertainment m’ont joué un tour pendable.

_ Hé oui, c’est bien moi. J’aimerai vous féliciter. Vous êtes le premier et a priori celui que nous recherchions depuis bien longtemps. Vous n’avez pas été facile à dénicher.

_ … Je reste sans voix… féliciter de quoi…

_ Vous avez sans doute beaucoup de questions…pour ne pas changer ajoute-t-il avant de rire joyeusement.

_ … Que dire…

_ Je crois que derrière ces silences se cachent en fait beaucoup de pourquoi… Soit ! Je vous félicite d’avoir prouvé à tous combien l’esprit humain pouvait être délicat, fragile mais également tellement puissant. Vous vous êtes tellement immergés dans l’esprit de vos compères que vous avez réussi à lire en eux leurs propres rêves, ce qui est normalement impossible et mieux que ça, vous les avez complètement détruits… C’est le danger de cette immersion, si le cauchemar arrive, il peut vous paralyser en un instant. En temps normal, votre conscience vous réveille et vous revenez dans le monde réel mais ici, ils ne peuvent plus refaire surface. C’est donc un cauchemar sans fin qu’ils vivent en ce moment… Vous me suivez ?

_ Vous me féliciter d’avoir détruit l’esprit de plus de deux cent personnes, c’est bien ça ?

_ deux cent cinquante-cinq… soyons exact ! Monsieur Loyal semblait si heureux…

_ Qu’attendez-vous de moi ?

_ Que vous me léguiez votre savoir-faire, que vous travaillez pour moi…

_ Vous êtes malsain monsieur

_ Puissant est le mot je crois. Malsain, c’est plutôt ce qui désigne tous ces êtres humains qui rechignent à trouver une position plus confortable, qui se contentent de ramper alors qu’ils pourraient se tenir debout et gravir des montagnes. Avec vous, nous pourrions même nous voir pousser des ailes, remplacer les hommes puissants de ce monde par des hommes qui pleurent car ils ne rêveront qu’à une chose, leur cirque en train de brûler, l’amour de leur vie dépérir devant leur yeux sans qu’ils ne puissent rien faire…

_ Ne comptez pas sur moi …

_ Je n’ai pas vraiment pas besoin de votre volonté… votre esprit suffira. Je vous ferai jouer au point que vous ne sachiez jamais s’il s’agit de la réalité et vous tuerez les âmes des gens connectés… Je vous ai parlé n’est-ce pas d’une certaine console de salon ? Vous allez voir, ça va être magique…

_ NOOOOOON… Ce cri a été le dernier que j’ai pu émettre avant d’être endormi et rebranché.

 

 

« J’espère que vous derrière vos lunettes éclairées vous ne rêverez pas à votre meilleur ami, à votre bien aimé, à vos parents, à la paix dans le monde, à la gloire de l’homme, à rencontrer dieu, à devenir immortel. Je vous somme, moi, Archibald Leirchreister, de rêver à la perte de mon nom, de cette société maligne et gangreneuse et haineuse, d’y voir une grandeur et un anoblissement que de penser à cette destruction. Je pourrai alors vous rendre fort et non fou. Je pourrai élever votre esprit et peut être briser le cercle. Ecoutez-moi avant de vous endormir, penser fort aux cauchemars que vous ne voulez plus et non aux rêves. Les rêves vous les posséder déjà, vous n’avez plus besoin de cette artificialité. Vous avez besoin de vous reveiller»  

 

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13 mai 2011 5 13 /05 /mai /2011 14:28

 

Bip… Bip… Bip


A l’hôpital Saint-Marguerite, depuis que le docteur Shepard est arrivé, il n’y a eu aucun décès. Enfin, sauf ceux qui arrivaient trop tard après de graves accidents domestiques ou d’accidents de la route. Du coup, le docteur Shepard n’avait pas une minute à lui. Tout le monde voulait le docteur Shepard et d’autant plus lorsque le patient avait tout essayé et savait qu’il était condamné. Sidéen, Cancéreux en phase terminal, d’autres cas encore qui souffraient de maladie orpheline ou auto-immune grave. Virus, bactéries, parasites…rien ne survivait au Docteur Shepard. A le croire, il pouvait soigner n’importe quoi du moment qu’il s’agisse d’un dérèglement de l’esprit et du corps, d’un manque de cohérence entre ce que vivait et parfois subissait l’individu et ce qu’il voulait vivre…

 

Ces paroles quasi-mystiques avaient soulevés de grands appels de la part de ses pairs médecins qui voulaient plus que soigner mais véritablement guérir des maux ancestraux que l’homme connaissait, de grands appels du public aussi qu’il soit sceptique ou bien qu’il soit déçu qu’un homme préserve un si grand secret autour de sa manière de réaliser ces miracles. Certaines communautés avaient créé un culte dévoué à ce Docteur, pensant que c’était le Christ ressuscité venu soigner ceux qui méritaient d’être sauvés. L’apocalypse telle qu’elle était décrite avait déjà commencée… Combien d’investigations étaient venu déranger la quiétude de l’hôpital Sainte-Marguerite, je ne sais pas.

 

Toujours est-il qu’ils n’ont jamais rien trouvé de suspect. En fait, ce qui pourrait paraître le plus bizarre c’est que le docteur Shepard est seul. Pas d’amis, pas de familles, pas de petite amie. Pas de maison, il vit directement dans son bureau, il ne s’en est jamais caché et avait même fait une requête en ce sens auprès de la direction. Il répondait invariablement qu’il n’avait pas besoin de sortir. Il y avait trop de de choses à faire et puis, il avait tout le confort ici. De plus sa famille et ses amis étaient ses patients. Il avait son comptant de relations humaines. Il avait fait son internat et l’avait obtenu haut la main. Il connaissait tout sur tout sans aucun défaut. Il refusait d’aller aux conférences internationales, et n’aimait pas ses collègues qu’il traitait sans ciller de bouchers ou bien de vulgaires rebouteux. Ce qui avait fait connaître le docteur Shepard c’est simplement le compte-rendu de l’hôpital qu’il faisait tous les ans au ministère de la santé. Les politiques s’étaient tout de suite targués d’une telle réussite comme quoi le manque de moyen n’était que billevesées de la part de fainéants et de gens limités cérébralement… Un peu plus tard, lorsqu’une commission s’était penchée un peu davantage, ils avaient trouvé qu’un seul homme était responsable, le docteur Shepard.


Bip … Bip… Bip


Il avait la cinquantaine, les cheveux grisonnants légèrement, les yeux bleus toujours à moitié fermés semblait-il derrière des lunettes un peu sales. Son regard vous transperçait néanmoins et  la première pensée que j’ai eu en le voyant a été, heureusement qu’il n’ouvre pas les yeux en grand. Il est plutôt grand, un peu au-dessus de la moyenne et plutôt bien portant. Il avait dû faire du sport étant jeune pour conserver cette stature. Il répétait sans cesse : ce qu’esprit veut, le corps peut. La limite ne tient qu’à la communication entre les deux. Il est plus question de vision des possibilités que des impossibilités. Malheureusement, la vie (il entendait sans doute par-là, le contexte social et autre) limitait nos envies à ce qu’elle pouvait offrir au distributeur alors que des distributeurs, il y en avait des milliers et plus et que les produits dont ils étaient remplis garantissait cette plus grande liberté encore. Mieux, il n’y pas de distributeurs, vous êtes le distributeur de votre vie. Lorsque je l’avais entendu parler, j’avais compris pourquoi des communautés spirituelles s’étaient créées autour de la personnalité du docteur Shepard avec un sens de la formule et de la métaphore comme ça…


Bip… Bip… Bip

 

Je suis arrivé chez le docteur Shepard à l’hôpital Saint-Marguerite le 25 Janvier pour une dystrophie musculaire de Duchenne qui avait atteint le cœur. J’étais foutu à l’aube de mes trente ans. Ce n’est pas que ma vie ressemble à un rêve que tout le monde souhaiterait de vivre. Petit boulot peinard dans un magasin de musique, pas de petite amie en vue, quelques amis avec qui je partage mes passions et que je voie de temps en temps…mais bon c’est ma vie…La seule chance dans cette vie a été de vivre à côté de l’hôpital et d’avoir croisé le docteur Shepard alors que j’allais voir un ami qui s’était fracturé la jambe. Je ne savais pas qui c’était à l’époque. J’ai dit bonjour comme j’aurai dit bonjour à toute personne qu’on croise dans les couloirs d’un hôpital. Le truc c’est qu’il s’était arrêté devant et avait dit : « DMD hein ? ». Je l’ai regardé, un peu surpris, c’est quand même pas le genre de maladie qu’on porte sur le front même si je m’essouffle vite après une seule volée de marche. J’ai répondu oui et il m’a répondu : « prenez un rendez-vous, il n’est pas trop tard… ». La première pensée a été : « c’est qui ce con de doc’ » et très vite « comment il sait de quoi je souffre ». J’ai pris rendez-vous donc et j’attends… L’opération, la manipulation, le … truc, c’est pour demain. J’ai fait tous les tests. Je ne sais toujours pas de quoi il retourne… Le docteur Shepard ne parle que de cohérence corps esprit, et j’avoue qu’il a raison sur l’existence de cette relation, car il m’échauffe l’esprit et par conséquence, j’en tremble d’énervement.

 

Bip… Bip… Bip.

 

Il est trois heures du mat, je me retourne sur le lit, en sueur à force de me retourner. Mon esprit vagabonde et tourne en rond sans trouver une respiration calme et serine. Je décide de me lever et tant pis d’aller dans le bureau de Shepard. Je pourrai peut-être y trouver de quoi assouvir ma curiosité… Son bureau est juste à l’autre bout du couloir. En prenant soin d’éviter l’office des infirmières, c’est à trente mètres à peine. Sinon il faudrait que je fasse le tour entier de l’étage et qui sait qui je pourrai rencontrer. Je m’approche prudemment, penche la tête dans l’embrasure… elle dort. Je me suis inquiété pour rien. La porte du bureau de Shepard est vieille, elle date d’avant la rénovation de l’hopital où tout le mobilier avait été changé, les murs repeints et les sols refaits. Elle a reçu maintes couches de vernis au cours des ans et est ajourée d’une vitre épaisse et sablée de manière à préserver l’intimité du cabinet tout en permettant un peu plus de lumière de rentrer. Je pousse doucement la poignée, elle est ouverte. Une lumière blafarde est projetée sur le bureau et à part la pâle lumière du couloir, tout le reste est plongé dans l’obscurité. J’éprouve à ce moment quelques frissons de crainte, c’est un peu comme si, les ombres s’étendaient un peu trop au-delà de leur territoire, comme si elles étaient plus fortes que ce que les lois normales leurs imposaient. Je me rends compte que c’est un peu bizarre ce que je vous dis. Mettons ça sur le fait de mon esprit agité et qu’il est trois heures du matin.

 

« Monsieur C., je vous attendais un peu plus tôt que ça » La voix du docteur Shepard me prend au dépourvu et je reste tétanisé tandis qu’il avance le buste sur son bureau. Je ne l’avais pas vu assis au fond de son fauteuil.

_ heu… plus tôt ?

_ oui, vers minuit minuit trente…

_ Je n’arrive pas à dormir

Il lève un sourcil amusé. C’est comme s’il savait déjà de quoi il allait être question, quelles étaient mes craintes, … Il est en avance.

_ J’ai des questions

_ Bien sûr que vous avez des questions ! Il me coupe la parole se lève et s’avance vers moi, son sourire dans la pénombre me fait trembler…

_ Mais d’abord… Allumons la lumière, nous allons déranger personne et ce sera plus confortable pour tout le monde.

La pièce en pleine lumière et un peu plus réconfortante déjà. Les boiseries qui ornent les murs et constituent tout les meubles donnent une chaleur à cette pièce et le grand tapis persan qui fait presque toute la surface du bureau est plus chaleureux que le carrelage nu du couloir et de la chambre.

_ Vous n’êtes pas là pour m’entendre blablater sur le corps et l’esprit n’est-ce pas ? Certains patients s’en contentent, ce qui fait dénote d’un manque cruel d’humanité, selon moi. L’homme se définit avant toute chose par sa curiosité non ? M’enfin, je les sauve quand même. Il rit de sa position de force avec un mélange de bonhommie et de résignation qui me surprend, j’avoue.

_ En quoi va consister l’opération ?

_ Nous avons déjà commencé mais vous n’en avez pas conscience encore. Cela viendra tout à fait vers onze et quart demain matin. Ce qui nous laisse… Il regarde le pendule, presque huit heures pour achever votre parfait rétablissement monsieur C.

« Asseyez-vous et détendez-vous, je vais tout vous apprendre ». Il découvre un panneau de bois derrière son bureau et allume une sorte de vidéo-projecteur.

 

Bip… Bip… Bip …

 

_ La cohérence… Je vous en ai déjà parlé… Le principe de cohérence va au-delà de simples notions philosophiques. Il s’installe dans le moindre de nos gestes en fait, si bien qu’il est difficile de créer une incohérence… Mais la création d’une telle incohérence se résout dans un nouvel ordre qui assujettit le reste pour le rendre cohérent… me suivez-vous ?

_ Une incohérence… devient cohérence ?

_ hum, plutôt que l’incohérence pour vivre va devoir se créer un monde dans lequel l’incohérence devient cohérence oui…

_ Créer un monde…

_ C’est le point. Ce projecteur placé derrière vous n’est pas … un simple projecteur même si c’est finalement son utilité. Ce qu’il projette, des incohérences bien sûr à un niveau sub-atomique extrêmement poussé. Vous êtes entre le projecteur et l’écran, voyez-vous… Je vous rend simplement incohérent.

 

J’ai essayé de me lever mais je ne pouvais pas. J’étais tétanisé, complètement bloqué. Les muscles de mes jambes tremblaient. Voulais-je vraiment savoir ? Ce que j’avais peur c’est que finalement, un monde allait être créer à partir de moi, un monde où mon incohérence deviendrait cohérence. Mais ma maladie ?

_ Les particules incohérentes se fixent sur tout votre corps monsieur C mais de manière plus concentrée sur vos problèmes. Il y en aura tellement que toutes cellules malades et malsaines deviendra incohérente. Un monde sera créé à l’image de cette incohérence. Dans ce monde, votre maladie ne serait-plus un problème.

_ Ma vie…je vais la perdre !

_ Bien sûr que non, vous allez la continuer. Vous ne verrez pas la différence… Ce monde sera en tout point le même mais la maladie qui vous afflige ne vous détruira plus.

_ Dans ce cas pourquoi cette maladie ne disparaîtrait pas complètement ?

_ Je ne soigne que vous… toute personne est différente, votre nouveau monde de les altère pas, il se limite à votre corps et à votre âme, monsieur C.

_ Que se passerait-il s’il y avait trop d’incohérences ? Pourrait-il y avoir encore un ordre ou tout sombrerait dans un chaos, qui deviendrait le seul ordre possible ?

_ Voilà bien la seule question qui n’a pas de réponses encore…

 

Bip… Bip… Bip…

 

 

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18 avril 2011 1 18 /04 /avril /2011 18:07


_ Bonjour, votre Seigneurie, Vous avez fait bon voyage ? demande le Prime-mineur de la station orbitale Orbilis Tierce.

_On m’a signalé quelques dérèglements dans l’exploitation de la base.

_ On rentre tout de suite dans le sujet, constate le Prime-mineur en se raclant doucement la gorge. Ne désireriez-vous pas prendre un peu de repos d’abord ?

_ Réglons d’abord le problème de l’extraction, je m’intéresserai à vous plus tard. Je vous ordonne d’arrêter sur le champ toute activité dans la station.

_ heu ..Toute activité ?

_ Oui, sauf celles qui permettent, bien sûr, la bonne viabilité des mineurs. Je ne suis pas là pour créer des émeutes,annonce l’envoyé de la confédération marchande d’un ton froid et pince-sans-rire. Le Prime-mineur se permet en dépit d’une situation qu’il trouve bien tendue pour un « problème d’exploitation », un sourire de trop.

_ Vous trouvez que c’est une situation qui mérite de sourire, vous ?

_ A vrai dire, je ne comprends pas les raisons qui vous amènent ici. Je n’attendais la visite contrôle pour quelques révolutions supplémentaires. Je ne suis pas là depuis longtemps et je n’ai constaté aucun dysfonctionnement depuis votre première visite.

_ La productivité est en chute libre… Je vous ai assigné pourtant les veines à percer et celles à ne pas toucher… Je n’explique cette faiblesse que par un manque de votre direction à mes ordres précédents.

_ Jamais je n’aurai osé, votre Seigneurie. Après tout être Prime-mineur est le rêve de toute une vie.

A cela l’envoyé hausse les sourcils. Personne ne souhaite être envoyé dans une station orbitale plantée sur un caillou où le plus paysage se trouve être un désert de roches où le soleil ne fait que projeter des ombres inquiétantes… Pour vouloir devenir Prime-mineur, il devait venir de lieux encore plus désolés, encore plus désolant… Sur cette pensée, l’envoyé ne se laisse pas attendrir et réplique.

_ C’est donc votre bêtise qui en est la conséquence ?

_ Je…

_ Savez-vous ce qu’est ceci ? demande l'envoyé en tapotant de la main, un objet long d’un avant-bras qui se finit par un sorte de bec finement ouvragé dans différents métaux. Le manche est pourvu d’une reconnaissance palmaire réglé sur son porteur par l’entremise d’une puce greffée dans sa paume si bien que l’outil n’est d’aucune utilité pour quiconque voudrait s’en saisir.

_ L’instrument de votre pouvoir, votre Seigneurie. Le Prime mineur commence à trembler. Cet instrument est pourvu d’un pouvoir unique…

_ Oui. Il me permet de marquer ce qui doit être fait, et ce qui doit être défait. Je marque ainsi les veines de minerai à prélever, celles qui ne risquent rien et apportent un fort rendement. Je marque celles qui ne sont à toucher sous aucun prétexte sous le risque de faire exploser la station entière. Je peux aussi marquer de la même manière toute personne travaillant pour la fédération marchande. La technologie qui permet tout cela est plus fine que toute celle qui se trouve à bord de cette station. Elle fait appel à presqu’un millénaire de recherche en physique quantique… Autre chose maintenant… L’envoyé fait une pause, faisant quelque pas jusqu’à se trouve dos à dos avec le Prime mineur et c’est sans même tourner la tête qu’il continue à faire la leçon. Vous savez pourquoi cette station s’appelle Orbilis Tierce ?

_ Je n’ai pas été mis dans le secret votre Seigneurie…

_ L’ignorance a ses vertus, j’imagine. Je vous excuse ce manque d’intérêt pour votre poste. Poste qui est le rêve de toute une vie, hum ?

Après avoir haussé un sourcil accompagné d’un regard moqueur, il reprend sur un ton très professoral :

_ La première a explosé par manque de prudence. La fonction de garde-marteau a été alors créée, ce qui n’a pas empêché un manquement du Prime mineur d’Orbilis La Seconde de se désintégrer dans les flammes suite à une erreur de sa part. Je ne permettrai pas qu’Orbilis Tierce subisse le même sort.

_ Oui, votre Seigneurie. Permettez-moi néanmoins de vous parler à l’écart dans votre appartement privé.

Le Prime mineur avait laissé dans sa voix une note de peur, une certaine crainte, non pas de celle que le Garde Marteau en charge de la bonne exploitation des différentes stations orbitales a l’habitude de susciter, mais une crainte d’une dimension bien étrange et plutôt inquiétante... La station Orbilis Tierce ne se distingue en rien des autres stations orbitales minières construites sur les astéroïdes des groupes Floras, Phocaea et Cybeles entre Mars et Jupiter, si ce n’est par sa taille. Cette station est gigantesque et traverse de part en part le Rocher, comme les mineurs l’appellent entre eux. Cette station est capable de vivre en totale autarcie et pourvoie en métaux rares la Terre qui est en rémission après la révolution pour l’ascendance humaine qui n’avait mené qu’à une société décadente et universelle, et les colonies martiennes qui cherchent à éviter un tel échec.

Le salon où le Prime mineur emmène le Garde Marteau de la confédération marchande était du pur style pré-éxode, ce qui n’avait rien d’étonnant. C’est  aussi la plus ancienne des mines extraterrestres. Des tapisseries de fibres végétales représentant des scènes de la découverte spatiale suspendues sur les murs encadrées par des colonnes romaines en plastique intelligent permettent de créer par des jeux de couleurs et d’infrasons différentes ambiances. Au centre, un bureau de dernière technologie permet de visionner en holographie les données essentielles de la station : signes vitaux, vidéo-surveillance des travailleurs et  de leurs logements. Cela faisait longtemps que sous des prétextes de sécurité et d’intégrité des structures, toute intimité avait été annihilée. Les quelques accidents survenus dans l'exploitation avaient permis à la direction d'éteindre les dernières braises de résistance à ce sujet La confédération marchande assurait une qualité de vie telle que les noms et leurs histoires étaient mis de côté au profit de la fonction et du rang au sein du consortium humain. Les mélanges ethniques avaient fortement contribué à gommer les traits caractéristiques assimilés quelques siècles plutôt aux différents continents originaux de la Terre. Certains y voyaient une seconde chance pour continuer à vivre après quelques exactions, d’autres après quelques temps, une simple négation de leur individualité.

Le Prime-mineur se place près d’une colonne et règle une lumière blanche très agressive accompagnée d’une note très basse à la limite de la perception de l’audition humaine.

_ Pardonnez ces mesures, votre Seigneurie. Il en va de votre sécurité. J’ai fait cette « bêtise » pour ne pas éveiller les soupçons. Toute intrusion est impossible et notre conversation restera ainsi secrète…

L’envoyé a soudainement les jambes qui tremblent. Le rapport de force hierarchique semble s’inverser dans l’atmosphère pesante qui règne désormais entre les deux hommes. Il se tient à la table holographique et relève la tête.

_ Expliquez-vous bon sang. Que se passe-t-il ?

_ Ils font grêve. Et ils, ils se donnent des noms

_ Pardon ?

_ Oui, votre Seigneurie, Ils se sont inventés des noms pour se distinguer entre eux et refusent de se mettre au travail tant que leur identité ne sera pas reconnue.

_ Qu’est-ce que ça veut dire ? N’es-tu pas heureux d’être Prime-mineur ?

_ Il y a d’autres Prime-mineur sur les autres stations.

_ Qu’avez-vous à faire des autres stations?

_ Oui, je comprends votre propos. Mais j’ai sous mes ordres dix-huit Bis-mineurs.

_ Mais il y en un par galerie ! Chacun porte son numéro et se distingue bien des autres non ?

_ Oui, je comprends votre propos, mais en bas de l’échelle, les Simple-mineurs ont un numéro à cinq chiffres et lorsque l’un d’eux s’en va ou meurt, il est aussitôt remplacé par un de ceux qui l’avait connu. C’est ainsi que le Simple-mineur 13452 qui est mort il y a deux rotations a été remplacé par le Simple-mineur 13453, et que tous ceux placés un un numéro derrière ont changé de noms.

_ C’est censé leur apporter du bonheur et de la joie de savoir que leur fonction dépasse leur simple vie, dépasse leurs erreurs, leurs incapacités. Ils sont plus immortels que tout autre ainsi et permettent de conquérir plus d’espace pour l’humanité. L’humanité dépasse l’individualité…

_ Ils disent au contraire qu'ils ne le sont que moins et que cela les force à oublier celui ou celle qui a été l’un de leurs proches pendant bien des révolutions… et puis, s’il n’y a plus d’individu, peut-il encore exister une évolution du genre humain ?

_ Je m’en vais leur en toucher quelques mots à ces.. à ces…

_ Révolutionnaires ? suggère dans un sourire le Prime-mineur.

_ Révolutionnaires, oui c’est le mot !

_ Je vous ai conduit ici pour éviter que vous fassiez chahuter à votre arrivée. Nous ne parvenons à qu'avec peine à les calmer.

_ Sont-ils si nombreux à faire grève ?

_ Tous. Tous. Absolument tous. Le Prime-mineur s’est relevé et paraît bien plus grand désormais. Il bombe le torse. On lit dans ses yeux, un courage et une témérité qu’il ne montrait pas plus tôt…

_ Vous aussi ? Le Garde-Marteau pose un regard circonspect et presque incrédule sur le Prime mineur

_ Oui, moi aussi … Mon nom pour tous est désormais Bil Téraor…

Le Garde-Marteau rumine. Il devient écarlate. Il hurla à l’intérieur de lui, il hurle les dents serrées d’abord puis à gorge ouverte « Vous n’avez pas de nom. Vous n’avez pas de nom. »

Il s’approche avec une haine qui couve son regard. Il prend son instrument de mesure, son marteau, et l’abat violemment sur Bil Téraor. Ce dernier a beau se protéger de ses bras, le marteau est conçu pour laisser une marque si profonde dans les veines rocheuses qu’il foudroie instantanément le Prime-mineur, Bil Téraor, le révolutionnaire qui voulait libérer un peuple d’esclave.

Le Garde-Marteau a à peine le temps de constater la mort du Prime-mineur et la portée de son geste qu’il entend qu’on approche. Derrière la porte, ce n’est pas une simple patrouille de sécurité. C’est une foule immense. Il entend des cris, des slogans. Une foule qui a le même désire. Il se projette sur la table holographique, envoie le code oral déclenchant la vidéo-surveillance, et constate que les colonnes blanches et le son en basse fréquence ne permettaient pas une discrétion totale mais une diffusion à grande échelle, à tous les habitants de toutes les stations, de toutes les colonies de Mars et de la Terre.

Le Garde-Marteau tombe à même le sol, les jambes coupées. Il ne comprend pas…vraiment pas. Il prend alors le marteau à deux mains, tend les bras et ferme les yeux. On frappe à la porte. On y frappe violemment. Il se frappe alors pareillement de son marteau et s’endort, la peur, l’incompréhension et la haine au cœur. Le regard posé sur une porte qui s’ouvre sur de nouvelles individualités…

 

Sur Terre, dans une tour de cristal

« Président, président! s’écrie un homme en courant.

- Oui ?

_ Vous êtes au courant ? C’est la révolution là-haut ? Comme allons-nous gérer cette catastrophe ? L’armée ? Une bombe électro-magnétique ?

_ Révolution ? ou… évolution ? »

 

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25 mars 2011 5 25 /03 /mars /2011 13:28

 

A la terrasse du café, place Dauphine dans le premier arrondissement de Paris, Mademoiselle Suzette buvait son café crème avec tout le rituel digne du professionnel qui boit un café, place Dauphine dans le premier arrondissement de Paris.

Pour bien faire, le premier sucre va directement dans la tasse, plongeant sublimement sur cette belle épaisseur de crème. Le second se tient maladroitement comme un funambule tandis que Mademoiselle Suzette lui fait prendre le reste de crème que le premier sucre n’a pas daigné emporter avec lui au fond. Le moment est gracieux et divin et demande une perfection dans le geste pour que le sucre se gorge de cette frontière infime entre la crème, le café et le reste, l’air, la soucoupe, la table qui porte la soucoupe, la terrasse qui porte la table qui porte la soucoupe qui porte la tasse qui contient le café, et plus loin encore la place Dauphine où Mademoiselle Suzette, les fesses tout juste posées sur sa chaise la tient aérienne, gracieuse et divine qui fait prendre un petit bain douillet à son second morceau de sucre.

Au moindre début d’effondrement, c’est avec une prestance, une vélocité digne des plus grands jongleurs que mademoiselle Suzette lève la cuillère entre ses lèvres roses. Des lèvres qui s’étirent avec beauté en un sourire qui exprime une joie toute entière à sentir ce sucre qui fond sous sa langue et glisse le long de sa gorge.

A la terrasse du café, place Dauphine dans le premier arrondissement de Paris, il pleut, et les gouttes de pluie fine rendent gris les pavés, les façades anciennes et la fumée des cheminées se couchent comme si elles craignaient de se perdre entre les gouttes d’eau. Mais à la terrasse du café, place Dauphine dans le premier arrondissement de Paris, Mademoiselle Suzette buvait son café et cela suffisait largement à ensoleiller tout passant arpentant, capuche au vent, la place Dauphine.

Derrière la place Dauphine, colossal, massif et vieillissant se trouvait le palais de Justice de Paris. De grands escaliers permettaient d’atteindre l’arrière et ainsi, et surtout, éviter les journalistes en furie toujours à l’affût du visage de la victime ou du présumé coupable pour surligner la douleur ou la honte ou encore la crainte et, tels des singes dans un zoo, faire des grimaces à ceux qui vivent leur vie.

Mais revenons à Mademoiselle Suzette. Elle était arrivée lors de l’été après la grande Chaleur, cette guerre à l’uranium appauvri qui, comme pour se venger d’être affublé d’un tel adjectif, avait appauvrit le monde, l’avait rendu fou, cruel, aveugle. Les criminels avaient été jugés derrière la place Dauphine, dans le palais colossal, massif et vieillissant, le palais de Justice de Paris. Mademoiselle Suzette prenait son café place Dauphine dans le premier arrondissement de Paris, chaque jour à neuf heure trente-six et à quinze heure vingt-quatre. Pourquoi ? Nul ne le sait vraiment. Ce qui était vraiment important, c’est que Mademoiselle Suzette était belle et sans âge.

Elle était toujours seule avec son chapeau à fleur de saison. Elle le posait à côté d’elle délicatement et attendait que son café arrive. Les serveurs avaient très vite pris l’habitude des manies de Mademoiselle Suzette. Après le sucre englouti et trois tours exacts de la cuillère dans la tasse. Mademoiselle Suzette lui faisait faire un demi-tour de manière à ce que son pouce et son index de la main gauche s’en saisisse et dans un geste magique la portait à sa bouche pour boire le café en une traite. C’est ainsi que Mademoiselle Suzette buvait son café. Elle reposait sa tasse et vingt-quatre seconde plus tard mettait dans la soucoupe, trois euros, le prix de sa consommation.

Elle se levait, regardait à l’arrière de la place Dauphine, le colossal, massif et vieillissant palais de Justice de Paris puis s’en allait sur un rythme d’une marche qu’il serait difficile de qualifier de lent ou de rapide, de pressé ou de calme. C’était le pas des flâneurs, des promeneurs, mais de ceux qui savent où ils vont. On voyait bien que Mademoiselle Suzette avait ce que d’autres recherchaient en courant comme des fous. Mademoiselle Suzette avait le temps.

Au bout de quinze ans, de cinq mille quatre cent soixante-dix-neuf jours, de dix mille neuf cent cinquante-huit cafés pris à la terrasse, place Dauphine dans le premier arrondissement par Mademoiselle Suzette, Il plut comme il n’avait jamais plu avant. Il plut si fort que ce jour-là, à neuf heure trente-six, Mademoiselle Suzette ne vint pas. Les serveurs tournaient en rond dans le café. Où était-elle ? Cela faisait dix mille neuf cent cinquante-huit cafés. Pourquoi n’était-elle pas venue ? Ils attendirent quinze heure vingt-quatre et à l’horizon ? Nul bruit de pas de Mademoiselle Suzette, elle n’était pas venue. Les habituels passants qui avaient pris le pas de passer par la place Dauphine pour prendre dans leurs yeux un peu du sourire du second sucre de Mademoiselle Suzette s’étaient groupés et alimentaient toutes hypothèses plus ou moins farfelues sur la non-présence de Mademoiselle Suzette.

Cela ne fit pas de bruit, cela sentait le café crème qu’elle prenait place Dauphine dans le premier arrondissement de Paris. Cela respirait plus qu’un bonheur qui n’est dû que trop souvent au hasard, cela respirait la joie, celui du sourire de Mademoiselle Suzette lorsqu’elle engloutissait le second morceau de sucre gorgé de café crème. Tous les habitués du café, qu’il s’agisse de ceux qui passaient ou de ceux qui restaient étaient tourné vers le moins colossal, le moins massif, le plus que vieillissant palais de Justice de Paris. Il fondait. Il fondait comme le second morceau de sucre, c’était incroyable et divin, gracieux et aérien de voir disparaître sans un bruit, avec plutôt et seulement un sentiment de plénitude et de sérénité, l’instrument d’une justice aveugle menée par ces gens de la grande Chaleur qui l’étaient tout autant.

Mademoiselle Suzette avait transformé, lentement mais sûrement, chaque pierre du bâtiment de Justice, en morceau de sucre gonflé de café crème. La transformation se faisait en son être, en son âme et communiquait si bien avec la balance, cet instrument qui mesure le poids de nos fautes, le poids de nos âmes, que le bâtiment lui-même en fut touché. On apprit un peu plus tard, que tous les palais de Justice du monde s’en étaient trouvés ainsi dissolus, dissolus par des café crèmes pris par Mademoiselle Suzette à la terrasse d’un café, place Dauphine dans le premier arrondissement de Paris.

Pourquoi, me demanderez-vous, pourquoi mademoiselle Suzette n’était pas venu prendre un café de plus ? Un café supplémentaire ? Les discussions vont bon-train à ce sujet. Ce que je sais, ce que je crois, ce que je pense, mais ce n’est l’avis que d’un garçon de café qui a connu deux fois par jour Mademoiselle Suzette, tout les jours pendant quinze ans, c’est que Mademoiselle Suzette est redevenue ce qu’elle était, aveugle, non pas de cœur, non pas des âmes, pour ça, elle ne l’a jamais été. Elle a simplement rendu justice à l’humanité en s’exorcisant elle-même. Pour ça, elle venait à la terrasse du café de la place Dauphine dans le premier arrondissement derrière le palais de Justice, boire un café crème à neuf heures trente-six et un café crème à quinze heure vingt-quatre.

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9 mars 2011 3 09 /03 /mars /2011 12:50

Le monde a changé… comme jamais nous aurions pu croire qu’il avait changé. Nous pouvons le dire, nous pouvons désormais tout dire, vraiment. Il n’y a plus de guerre… il y a des conflits et des disputes bien sûr, il y a toujours un peu de haine mal dissimulée. Mais les seuls combats sont ceux des mots et ceux des idées. Et encore ils trouvent leurs résolutions dans les mots et les idées.

Point d’armes et point de poings levés contre l’autre. L’expression est devenue souveraine en tout point. On affiche, on placarde, les trottoirs eux-mêmes, autonettoyants désormais, sont le support magique… Pensez, la publicité va se glisser maintenant jusque sous vos pieds. Mais n’ayez craintes, vous ne serez pas trop surpris. Tout le monde ici porte des lunettes écrans. Ces mini-ordinateurs contrôlés par la pensée, reliés aux cerveaux qui permettent autant de s’envoyer des messages, d’appeler des amis, de faire ses courses ou bien encore de se détendre en jouant. La drogue est devenue technologique. On en a vu des sans-logis, le corps apathique et sans vie. Seule la lumière verte montrant que le sujet pensait encore. Sans doute pouvait-il vivre une vie qu’il ne pouvait imaginer autrement… Les lunettes sont apparues il y a un siècle maintenant. Elles sont greffées directement sur le nouveau-né dès sa première année achevée, lorsqu’il est remis à ses parents. Des études ont montré en effet, que bien qu’une affinité naturelle puisse exister entre les géniteurs et l’enfant, d’autres paramètres génétiques peuvent être pris en compte. Ceux-ci assurent alors une bonne compatibilité entre un couple et le nouveau-né sans qu’aucun lien du sang ne soit nécessaire.

La vie est devenue ainsi. Il n’y a plus un mot plus haut que l’autre…seulement des bruits résiduels qui entretiennent une certaine tenue de route. On s’enfile le mélange qui va bien, et on part faire sa journée de travail. Là encore…sur la base de données sociologiques : entretenir chez le sujet tantôt un sentiment de réalisation personnelle, tantôt celui d’une certaine frustration assure un certain bonheur. Bien sûr cela demande certains réglages, toute personne est unique, bien sûr… Mais ne vous inquiétez pas… tout le monde porte des lunettes…

Sur la planète, il n’existe désormais qu’une seule journée fériée. C’est la journée du dernier cri comme on l’appelle entre nous… C’est la journée du premier silence pour la direction planétaire. N’ayons pas d’illusions et arrêtons de parler de gouvernement si vous le voulez bien… Vous semblez surpris ? N’aviez-vous pas remarqué que personne ne criait jamais ? Jamais plus ? Que tout se faisait en chuchotis ? Qu’il n’y avait plus de pleurs certes mais qu’il y avait toujours des pleurs ? Qu’il n’y avait plus de rire non plus ? Que le cœur bat toujours plus ou moins vite mais semble complètement détaché du corps ? Vous pouvez avoir peur. Je vous le dit. C’est le début de la liberté et puis après tout, si vous êtes… si tu es, je vais te tutoyer si tu le permets…si tu es avec nous c’est que tu es parvenu jusqu’à nous…

Tu as même raison d’avoir peur car tu es bel et bien mort pour ceux de la surface… Le ciel pourrait te manquer mais te souviens-tu quand tu as regardé le ciel et le soleil pour la dernière fois ? Tu as l’impression que c’était hier mais tu ne l’as jamais fait… C’est bizarre comme la crainte de lever la tête nous a été si bien implantée… Le ciel tu le verras bientôt et la mer aussi…Nous allons te donner naissance, cela te fera mal, cela te fera sortir des lèvres des sons que tu n’as jamais rêvé, que tu n’as jamais même pu concevoir.

Sais-tu seulement ce qu’est le cri ? Ces animaux si féroces ne poussent guère aujourd’hui que des sifflements stupides. Le chat fait chhhhhhhh le chien ne fait rien…le lion fait grrrrr et l’oiseau ne fait rien… Est-ce normal cette nature qui ne bouge plus ? Même les arbres en s’abattant contre terre déraciné semblent faire attention de ne pas faire trop de bruit en tombant…

Tu entends ma voix. C’est la première fois que tu entends ma voix sans qu’elle passe par ton cerveau mais directement par tes oreilles… tu as peur, je le vois. Tu concevais une certaine jouissance à franchir un interdit. Ils font ça là-haut à ceux qu’ils ne peuvent contrôler jusqu’à la fin. Ils leur donne une échappatoire… Est-ce un de leur plan ? Pour faire un tri entre ceux qui en veulent, veulent plus, veulent conquérir autre chose et construire une humanité plus forte ? Ou bien ce tri ne vise qu’à un meilleur contrôle... Je ne peux y répondre…

Nous allons te donner beaucoup et pour cela, nous allons devoir te prendre beaucoup…Ta première leçon sera d’apprendre à fermer les yeux… pour de vrais…et non pour te gargariser les yeux ouverts d’images projetées par ces lunettes infâmes… Ta seconde leçon sera d’apprendre à imaginer les choses que tu touches de tes mains… Ta troisième à retrouver le sens de l’odorat et du goût… Lorsque tu seras prêt, nous te débrancherons…

Tu naîtras alors de toi-même et mieux, tu te souviendras de ta naissance, je te le garantis, tu ouvriras les yeux, tu auras encore plus peur que maintenant. Tu grandiras pour de vrai. Tu vas échanger un simili-bonheur pourvu par les rêves virtuels pour un peut-être bonheur que tu auras la chance de bâtir de tes propres mains… Tu pousseras ton premier cri.

 

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27 janvier 2011 4 27 /01 /janvier /2011 16:33

Le café était enfumé comme tous les soirs. On descendait les marches qui venaient à la salle de billard. C’est là que tout se jouait. La carambole, autrement dit le billard français. Les autres billards c’est pour les pingouins. Pour jouer à ce dernier, il y a des règles. Ne pas les respecter, c’est ne pas respecter la Carambole. D’abord, il fallait s’habiller selon le code. Le chapeau feutre était d’usage, la cravate noir sur une chemise blanche, un gilet sans manche dans les tons anthracites, un pantalon sobre et des chaussures vernis impeccables. Il fallait mieux que ça brille. On avait déjà vu, le grand Roger, foutre un gars dehors parce qu’il avait plu et que ces chaussures bien qu’elles soient du genre hors de prix étaient dégueulassées par les trottoirs rendu boueux. C’était ça le grand Roger, un œil de lynx qui voyait le moindre défaut en moins d’un coup d’œil. Il levait à peine les yeux sur vous lorsque vous rentriez dans le bar. Un coup d’œil et c’est tout. Après, soit on l’entendait gueuler qu’il voulait pas de ça chez lui, soit il se remettait à essuyer les verres ou à servir un client et là, ça voulait dire que t’étais le bienvenue. Après, faut pas demander de la bière, la bière, c’est pour après les parties, c’est la dernière chose que tu dois boire ou si tu prends ça, tu ne joues pas. Tu ne regardes même pas d’ailleurs, c’est manquer de respect pour les joueurs.

La Carambole, ça se joue avec un whisky bien sec, un double, on the rocks. Ça t’assèche les broyasses comme il dit le grand Roger. Y foutre de l’eau, c’est t’casser la concentre. Voilà ce qu’il dit le grand Roger. Il dit aussi, que la Carambole, c’est pas une affaire de pimpins, on s’en carre qu’tu sois en Armani ou que t’es sorti les vieilles fripes de ton vieux. Faut juste respecter l’code. C’est son padré qui avait arrangé l’espace il y a plus de trente ans. Rien n’avait changé. Seules les ampoules avaient été remplacées. Les seules qu’il y avait étaient celles qui éclairaient les quatre tables, le bar et une petite sur le ratelier pour choisir sa queue. Roger, il le disait, cette queue c’est la seule que tu peux choisir dans ta vie, alors choisis-la bien. L’ambiance était toute là. Une cave sèche sans ombre mais noire comme la nuit avec l’éclat vert des tapis pour jouer la Carambole.

Le Roger, c’était le gars costaud, grand, à faire peur les personnes qui ont quelque chose à cacher mais à être aimer des enfants. Une sorte d’ours avec le cœur aussi gros. Il n’avait pas eu d’éducations. La guerre était arrivée trop tôt pour lui permettre. Mais il s’en défendait et il avait raison. Il y a des choses qui ne s’apprennent pas, elles se comprennent. Le billard, il l’avait appris tout seul. Son père, il en voulait pas de gosse alors l’Roger, il avait tout fait pour lui montrer qu’il l’aurait mérité. Quand il est revenu de la fameuse infâme, cette guerre sans nom. Son père avait passé l’arme à gauche et Roger avait repris le commerce. Il avait repris le code, la queue de son père et s’était mis à jouer, à jouer bien et même mieux que bien. En un an, il défiait les plus grands. Mais le plus grand titre c’est celui qu’il a remporté dans son bar contre un vieux. Un vieux tout maigre, tout en os, tout gris. Le code, il l’avait. Il avait sa propre queue aussi dans un étui de cuir. Lorsqu’il l’avait ouvert, les embouts avaient jeté des éclairs de bois vernis rouge. Ils étaient bien enfoncés dans une feutrine verte. L’Roger, il s’est dit tout de suite, c’est un grand ça, c’est un grand. Il savait d’où il venait mais quand le vieux lui a dit de ses yeux bleus gris enfoncés dans son crâne sous d’épais sourcils, d’une voix de fumeurs, « on fait une partie ? ». Ben l’Roger, il l’a regardé, il s’est retourné sur la vitrine où il y avait ses titres, ses médailles et son bras comme il disait. Une queue lui il en avait déjà une.  Son bras était beau. Il était fait d’un bois tropical, aux éclats d’or et d’argent.

La carambole contrairement à tous les autres jeux de tables et de boules était sans aucun doute le plus fin des billards. Il n’y avait que trois boules. Deux blanches et une rouge. Les deux blanches se différenciaient par une petite marque ronde. Chacun des joueurs en avait une. Et il fallait grâce à elle, arriver à toucher les deux autres soit que la même touche les deux autres, soit que la première touchée touche la troisième. On comptait alors les points. Un point et jouer un second coup lorsque le coup était réussi, sinon, la main passait. Il ne jouerait pas à l’américaine. Trop facile de ne jamais finir de jouer. Des zones étaient définis par l’ombre portée d’un cadre métallique ajusté sous les lampes. Si les boules rentraient dans une zone du bord et n’étaient pas sortis au coup suivant, la main passait également même s’il était réussi. Mais ils n’ont pas fait une partie classique. Non. Ils se sont mis d’accord sur une Ravachole. Celui qui emporterait deux manches d’affilé serait le vainqueur. Les coups seraient réussis en jouant des coups spéciaux, utilisant les bandes ou bien la main non-naturelle, ou encore le dos au tapis…

Quelques whiskys étaient passés sans qu’un seul mot ne soit prononcé. Ils se regardaient, se défiaient ainsi. Ils se levèrent en même temps et se mirent autour de la table.  Elle était longue de trois mètres dix et large d’un mètre et soixante centimètres. Elle était réalisée en kotibé, un des meilleurs bois, une variété de l’acajou. La feutrine avait été brossée par mes soins. J’avais lissé les boules. Elles glissaient magnifiquement. La table était chauffée par un système électrique pour leur permettre de rouler avec le frottement adéquat.

Je jetai la pièce, c’était pile, c’était à Roger de jouer mais il n’en fit rien. A la Carambole, le plus vieux commence. Une esquisse de sourire et ce fut tout pour indiquer au vieux que c’était son tour.

Il annonçait la figure et la jouait. Si une autre était réalisée, cela ne comptait pas.

« Une Bricole ». Il lui fallait avec sa bille, la mouchetée, touché une bande avant de réaliser le coup. Ce n’est pas le coup que l’on joue en premier lorsque les boules sont sur leurs positions de départs. Pour montrer que ce n’était pas au vieux singe qu’on apprenait à faire la grimace, il en ajouta en se positionnant de manière à jouer la bande avant sur la petite bande. Il s’allongea de tout son long, gardant un pied par terre sinon le coup n’aurait aucune valeur. Il n’en finissait pas de s’allonger pour pouvoir ajuster son coup presque à bout de bras. Il lui fallait avoir une force incroyable….Est ce qu’il réussit ? Bien sûr qu’il le réussit et ce fut sans doute l’un des coups les moins glorieux que l’on contempla durant ce match. Il joua ensuite « Une Rouge ». La disposition des boules étaient telles que pour moi, il devrait combiner un effet rétro sans quoi ce serait donner la main. C’est ce qu’il fit, c’est ce qu’il réussit.  Il joua ensuite une ravachole une figure compliquée ou la deuxième boule touchée devait toucher d’abord une bande avant de frapper la troisième. Il le fit avec la même légèreté, comme si la figure ne trahissait aucune difficulté, bien qu’il doive pratiquement encore une fois s’aplatir de tout son long sur la table. Les douze figures furent réalisées en moins de dix minutes sans accrochage aucun.

Le grand Roger n’avait sans doute jamais vu un pareil joueur, sinon lui. Il souriait. Il ne s’était pas trompé. C’était un grand ça, comme il le dit maintenant, les yeux levés vers le ciel. Il monta son bras, s’arma si l’on peut dire et commença par jouer « Une rouge ». Dans la disposition de départ où les billes font une sorte de triangle isocèle. La rouge étant sur la base du triangle, il est difficile de ne pas réaliser ce coup sans qu’une des billes touche une bande et ne doive pas toucher une bande d’ailleurs pour atteindre la troisième. C’est pourtant ce qu’il réalisa. La rouge tournait si bien sur elle-même, si vite, qu’en carambolant la première blanche, elle s’en écarta plus vite encore comme propulsée pour dessinée une courbe parfaite dont la trajectoire se finissait sur la seconde blanche. Les autres figures furent du même acabit, aucun coup n’était joué avec simplicité. Ils combinaient toujours deux voire trois coups superbes. Le dernier de la manche qu’il joua fut une trois bande…Ce qui se passa c’est que dans un rythme impeccable. TAC tac tac tac tac tac tac tac tac tac. Une vraie mitraillette. Chacune des boules touchèrent les trois bandes.

Quelques habitués étaient entrés, chapeaux bien mis, cravates impeccables, chemises sans pli, chaussures vernis. Tous en noirs et gris. Juste le bruit des boules carambolant dignement sur le tapis vert. Le respect était dans les respirations maintenues, l’émotion dans les yeux de tous. Pour beaucoup, c’est la première fois qu’il voyait jouer le grand Roger. Pour les autres, c’est la première fois qu’ils voyaient quelqu’un d’aussi bon que lui. Je ne sais pas si on peut parler de religion… mais l’ambiance en était de cet ordre. Une sorte de duel sorti d’un western, une sorte de règlement de compte d’une quelconque mafia, une sorte de combat des dieux…

Les manches n’en finissaient pas. Aucune erreur, aucun écart, aucune faiblesse, aucun tremblement. Le rythme infernal  des boules. Les coups se succédaient sans discontinuité. On en oubliait les annonces. Les billes n’ayant à peine le temps de respirer. Les billes transpiraient presque bleues de craie et le tapis vert s’affublait de ces couleurs de ce combat sans nom, sans fin ?

C’est ce que je me suis dit lorsqu’à vingt manches partout, quarante whiskys servis. Il y eut une première erreur, la seule en fait. Le genou du vieux faiblit. Le bout de la queue, le procédé comme il est appelé, tapa à côté de la boule si bien que toute la force du coup fit tourner la boule. Dans mon souvenir, la boule tourne encore… Le vieux se releva alors. De la dignité ? Cet homme en aurait appris aux plus grands. Il remit son chapeau et s’assit.

Le grand Roger lui, il ne voulait plus jouer. Il remit aussi son chapeau. J’sais pas si c’est une larme que j’ai vu rouler sur sa joue, en tout cas, je ne l’ai jamais vu avec le regard aussi humide. Il posa son bras en travers du tapis et il sortit. Nous le suivirent tous. Le dernier, je me retournais avant de remonter les marches menant à la rue. Le vieux s’était relevé et posa sa queue à côté du bras du grand Roger. Je n’ai pas vu son visage, le chapeau bien mis projetait une ombre sur son complet gris. Une ombre parmi les ombres. Dehors les pavés étaient glissants. Les lampadaires vomissaient leurs lumières blafardes qui se diffusaient dans les flaques. Il avait plu. Le ciel avait pleuré pour eux que j’me suis dit à ce moment-là.

Le vieux nous a dépassés et il a dit sans tremblement mais un pâle sourire : « Merci mon gars, J’ai eu un fils une fois… j’aurai été fier que tu sois celui-là ». Et il est parti dans les heures du petit matin, quand la rue commence à se réveiller… Le bar est resté fermé une semaine, après quoi il a réouvert comme si rien ne s’était passé... On ne sait pas si c’était lui son père mais dans la vitrine derrière le bar… Le bras et la queue sont cote à cote. Quand un nouveau entre dans le bar et qu’il commence à s’intéresser à l’histoire du grand Roger. Il rameute les gens autour de lui et leur sert son meilleur whisky. Alors, on l’voit relever les yeux vers le plafond et commencer à raconter dans un soupir : Quelle Carambole…

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24 janvier 2011 1 24 /01 /janvier /2011 15:02

La fenêtre était ouverte et la porte aussi

Le bureau traversait les courants d’air

Comme un bateau devenu ivre par les roulis

 

La chaise roulait d’avant en arrière

Bloquant les lames imprévues

A tout prix, on voulait rester fières.

 

Mais le mât songe et tangue

La lutte est perdue face au mensonge

Entre les lèvres, une pointe de langue…

 

La grève n’est plus très loin

Une dernière vague, le frein qui se ronge

Le sourire assassine, le sommeil vient enfin. 

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17 décembre 2010 5 17 /12 /décembre /2010 14:19

Le 18 Septembre

Je compose le début de ce journal sur les souvenirs qui s'articulent autour d'un évènement majeur, crucial dans ma vie, dans nos vies, et, si j'ose dire. Je situe à cette date, le premier phénomène étrange, ensemble d'images, de sons, de flashs, d'odeurs qu'ils aient touché sans discrimination  mes yeux, mes oreilles, mon nez, mes mains, ma peau.

J'étais sur le quai du métro La Chapelle. C'est une station qui se trouve en hauteur, on y a une vue particulière ainsi placé à mi-hauteur des immeubles. Le train était en restard. Un homme venait de se jeter sur les rails un peu en amont de la ligne. Il faisait bon, le ciel était bleu et les gens étaient, les gens, indifféremment indifférents à ce qui pouvaient se passer autour d'eux. Les moins sensibles par l'accident étaient ceux qui rouspétaient pour le retard...

Pourtant, en dépit de cette apparente normalité parisienne, quelque chose tremblait au coin de mes yeux, comme si l'air était moins dense derrière ou à coté de moi. Cela vibrait d'une fréquence faible comme si finalement sous les coups inaudibles d'un tambour, j'en percevais par la vue, la compression des couches d'air. Un peu plus loin  sur l'horizon, un nuage grossièrement sphérique mais à bien y regarder, comme finement sculpté se tenait, immobile à quelques centaines de mètres de ma position. Il devait faire environ quelques mètres de diamètres à quelques centaines de mètre d'altitude et ne semblait que légèrement tourné sur lui-même.

Tandis que l’observant, je m’interrogeais sur la cause d’un tel phénomène, les pulsations cessèrent tout à fait. De la forme blanchâtre, s'échappait une pâle lueur tremblante dont la couleur évoquait les rouges lointains. Cette couleur, bien que je peine à qualifier exactement la tenue se répandait aux alentours et j'y voyais une anormalité incommodante. Le nuage se dissipa finalement dans une rafale de vent violent. 

Je ne me souviens pas avoir partagé ce témoignage avec quiconque sur le quai du métro. Et je doute encore à savoir si mes sens hallucinés n'en étaient pas l'auteur.

 

Le 20 Septembre

Les chiens ont jappé fort cette nuit. Ce n'était pourtant pas la pleine lune et le temps n'était pas à l'orage. Ils ont du se calmer vers les trois heures du matin. C'est la dernière fois que j'ai jeté un œil à la pendule avant de m'endormir. Néanmoins, je me réveillais tôt. J'avais d’abord à prendre le RER assez tôt pour me rendre à la gare. Et de là, en prendre le train pour gagner Seignosse.

A cinq heures, les gens qui peuplent les quais et les trains de banlieue représentent une image dont j'avais été sensibilisé à la lecture de l'histoire comique des états et empires de la Lune de Cyrano de Bergerac : il y a ceux qui reviennent, ivre d'une nuit folle et ceux qui vont nettoyer leurs merdes. Les premiers étant bien plus jeune que les seconds. Qui fait le monde ? Ceux qui le salissent ou ceux qui le nettoient ?

Dans la rame du Rer, j'étais seul et regardais pas la fenêtre le paysage nocturne défilé : les lampadaires qui jetaient leur regard blafard sur les trottoirs humides. Je m'endormais à moitié lorsqu'à l'arrêt de Cité Universitaire, un individu entra. D'un aspect plutôt jeune, il paraissait par sa démarche et son regard, d'une dizaine d'années mon aîné. Une barbe de trois jours lui décorait la mine. Les cheveux en bataille de la couleur de paille dépassaient sans ordre d'un large sweat à capuche. Chacun de ses pas laissait entendre un bruit de succion accompagné d'un chuintement, ses bottes en caoutchouc accusaient leur âge. Je reconnu alors, l'équipement parfait d'un rôdeur des catacombes.

Il s'assit en face de moi alors que j'étais seul et qu'il y avait tant de places autour. Ce qu'il me dit, je n'y ait prêté attention comme lorsqu'un homme ivre cherche à vous parler, vous souriez gentiment et priez que cela ne dure pas. Ces paroles m'ont néanmoins marqué si bien que je peux les retranscrire sans écart. Bien qu'il parlait français, les mots étaient hâchés et sa syntaxe était primaire non pas à l'image d'un enfant qui ne possède que quelques mots de vocabulaire pour s'exprimer, plutôt celle d'un adulte qui a oublié et peine à se rappeler les sons à produire. Je livre ici ces paroles entendues : 

"Le trône se construit ouverte la porte désormais va voir va voir fermer les yeux brûle ton âme sinon le trône la porte ouverte plus le temps n'est plus." 

Je transcris sans ponctuation, le rythme avec lequel il scandait ses phrases ne suivait aucune logique. De longs silences s'inséraient entre deux mots et parfois, c'est avec un débit tel qu'il les prononçait que je ne les comprenais qu'à peine. Il répéta bien dix fois tout ces mots avant de descendre. J'étais soulagé de ne pas avoir à le suivre plus avant. Avant de quitter le train, il me tança du regard avec la bouche ouverte comme un poisson sortit de l'eau. Puis, il dévala le quai en hurlant des mots parfaitement étrangers dont la phonétique ne m'était alors aucunement familière.

Bien que cet homme avec ce fort pouvoir de répulsion, par son regard, le son de sa voix et ses propos incohérents, l'odeur de pourriture humide qui se répandait au moindre de ses gestes, je le prenais davantage pour un fou, un esprit déréglé que pour une menace réelle. Je passais le reste de mon voyage sans m'en soucier davantage.

PS : C'est plus tard que certains de ces mots prirent du sens et que je rencontrerai à nouveau cet homme...

Le 22 Septembre

Je me trouve à plusieurs centaines de kilomètres de Paris au bord de l'océan. J’ai d'abord pensé que cela m'éloignerait suffisamment des phénomènes étranges dont j'avais été témoin. Malheureusement, la sensation d'être épié par l'espace entre les coins, entre les surfaces, la sensation que tout va exploser à l'image d'un regard dans un kaléidoscope revient plus présente que jamais. 

Le sable chante sous chacun de mes pas, il forme une croûte qui se craquelle et laisse entrevoir en différents instantanés, la présence d'un autre monde, d'une autre logique. Les vagues se brisent à leur habitude. Je me calmais en me concentrant sur leur musique, leur respiration. Cela arriva doucement, lentement comme à la limite du champ de mes perceptions, comme lorsqu'on se sent glisser dans le sommeil. Et pourtant, je ne dormais pas, j'étais même davantage concentré sur ce qui venait, approchait. Mes yeux étaient fermés. J'avais peur d'observer quelque chose que je ne pourrai appréhender ou comprendre.

L'air changeait, il se chargeait de particules malodorantes, l'odeur d'un animal gangrené de l'intérieur. Elle se faisait de plus en plus présente arrivant avec le même rythme des vagues, comme un souffle de quelque bête venue des enfers qui camouflait sa respiration. L'océan respirait deux fois...il y avait les vagues, et il y avait, ça...

Mon cœur battait à tout rompre si bien que mes mains s'étaient crispées d'elles-mêmes et tremblaient. Bien que je ne comptais qu'une dizaine de ces respirations méphitiques, cela me sembla durer des heures.

La vraie "nature" repris ses droits et les odeurs disparurent peu à peu. J'ouvrais les yeux à nouveau et après quelques secondes pour me réadapter à la lumière violente du soleil, j'observais le rivage. Tout semblait être normal. Toutefois, une sorte de rocher que je n'avais pas perçu avant était là à quelques dizaines de mètres du bord. Je ne sais pas d'où il est venu. Une sorte de brume à la couleur indescriptible proche de celle s'échappant du nuage observé il y a quelques jours entourait le bloc. Les remous de l'eau à son encontre semblaient même échapper à quelques lois de physique élémentaires.

Je me réconforte en pensant à une nature dont de nombreux aspects sont encore ignorés de tous ou bien qu'il existe plusieurs natures qui cohabitent dans une même réalité avec des problèmes de cohérence auxquels je serai sensible...Je prie pour que le mal-être que je ressent à ces manifestations ne soit pas de simples préjugés face à cette inconnue réalité.

 

Le 23 Septembre

Des traits mordorés de pinceau céleste tombaient sur la mer dormante.

Son voile s'accordéonne avec douceur sous leurs caresses enjôlantes

Allant du blanc et du bleu vers le gris acier et doré

 

Le sable s'accroche et se colle à la peau.

Il caparaçonne et transforme la chair

On s’écaille, la gorge coincé dans un étau

Nous étouffons ainsi plongés dans l’air.

 

Mais l'eau pue, et le poisson n'est ni blanc ni bleu

Ni gris acier, ni doré, il est écailleux en vert globuleux

En vert pourrissant. Il est corrompu

Les nageoires lui poussent à travers l’âme

Se détruisant au néant, il crame.

Le 25 Septembre

 

L'océan montre toute sa violence aujourd'hui. Les nageurs se font soulever et emporter devenant de simples jouets ballotés par les flots. Cela se fait dans de grands éclats de rire et même les adultes redeviennent enfants laissant leurs instincts dominer leur actes. On rie et on crie comme dans un manège. Le sable crisse sous les dents, on goutte l'océan par tout nos sens en éveil.

Je ne peux m'empêcher de penser que nous nous corrompons ainsi, ingérant peut être, une infime partie du rocher apparu il y a quelques jours. Je ne le vois pas aujourd'hui. Soit que les vagues le recouvrent tout à fait, soit qu'il ait disparu comme il était venu. J'espère seulement que ce sentiment de corruption, de voir des choses qui ne peuvent être n'est qu'une crainte, un effet des nerfs et ne se propagera pas dans les jours prochains.

Bien que, ce dont je suis témoin soit de formes et d'aspects différents à chaque fois, un lien existe peut être entre toutes ces évènements.

Je ne parvient pas à me sentir autrement que trahis par la Nature, non pas que j'ai signé quelques pactes avec elle, je trouvais simplement une assurance à savoir en expliquer quelques aspects...

 

Le 27 Septembre

La nuit a été difficile, bruyante, due au chaos atmosphérique qui sévissait au dessus de nos têtes. Le ciel était lourd et menaçant. Les éclairs crevaient la nuit en cicatrices aveuglantes. L'inquiétude se lisait sur les visages de mes collègues. La terre elle-même semblait trembler sous les coups répétés du tonnerre. Comme si le ciel cherchait à la fendre en deux, à l'ouvrir pour découvrir ses entrailles. Nous subissions encore les éléments naturels. Les nuages étaient tous en circonvolutions, bouillonnant, donnant naissance à des bourgeons sombres et funestes. La pluie s'abattaient à grands fracas sur les toits. Nous entendions la houle souffler à travers les dunes propageant les sons d'une flûte interdite. La mer rugissait. Je sentais les échos d'une langue d'un autre monde où tout se modulait autour des voyelles o, a et ou. des consonnes cassantes en k et en kr ajoutaient le rythme. Comme si il y avait une sorte de prêtre psalmodiant je ne sais quel sortilège.

Cela dura environ une dizaine de minutes avant de cesser complètement aussi brusquement que cela avait commencé, tonnerre, éclair, vent se turent au même instant. Même les vagues s'étaient calmées. Ce qui vient ensuite, fut choquant et pour la première fois fut partagé par de nombreux témoins. Une odeur fétide nous assaillit au nez et à la gorge dans un dernier souffle. Quelques amis et collègue à qui j'avais parlé de mes observations précédentes me prirent alors à part pour me confirmer l'étrangeté du phénomène et à moins que nous ayons tous ingéré quelques drogues hallucinogènes, il était impossible de partager la même sensation : quelque chose dérangeait, quelque chose n'était plus à sa place. Bien que ces phénomènes allaient s'amplifiant, j'étais rassuré de ne pas être fou. Je n'en doutais pas moi-même mais de voir ces phénomènes aux allures naturels suivre une totale absence de logique, enfin, une logique qui ne nous appartient pas...

Les hypothèses pour expliquer ces manifestations ne manquèrent pas et abreuvèrent les discussions jusqu'au petit matin. L'alcool aidant, nous nous rassurèrent et parvinrent à rire un peu... Et je ne sais pas si c'est cette ivresse mais aux frontières de mon champ de vision, cela vibre encore... 

 

Le 03 Octobre

De retour à la capitale. Je n'ai pas pu tenir le journal à jour durant cette dernière semaine. Le retour a faillit être impossible et je ne crois pas exagérer en disant fatal. Les météorologues s'entendent à parler de la tempête du siècle sans parvenir à connaître les causes ou la nature exacte. De lourds et sombres nuages ont littéralement arraché les lignes électriques, le train n'a pu aller bien plus loin après ça. Les rafales devant étaient si violentes qu'il tanguait presque comme un bateau gouverné par les vagues. La radio, le téléphone ne fonctionnaient plus. Nous étions isolés et perdus. Mes amis et moi-même sommes parvenus à rester suffisamment calmes pour rassurer les plus effrayés. Une force, sans doute la même que l'évènement précédent était à l'œuvre. Nous relevions certains "indices" de cette autre présence dans le balancement des ramures qui se faisait à contre sens du vent, dans la mélodie peut être trop humaine créée par le vent passant entre les cimes des arbres. De lourds battements se faisaient entendre et nous trouvions suspects que la grêle puisse être la seule responsable de tels rythmes. La panique des voyageurs grandissait et s’alternait selon les périodes de somnolence et de veille. Le personnel du train appelait au calme et on devinait bien qu'ils étaient aussi nerveux que nous. Les secours ne devraient en tous pas tarder, un protocole d'urgence se mettait automatiquement en place dès la perte du signal avec le train. Il espérait simplement que la tempête ne retarderait pas l’arrivée des secours. Ils mirent trois jours et deux nuits. Durant tout ce temps, ni le vent, ni la grêle, ni la pluie, ni le rythme trop régulier et répétitif, ni les sons de cette flûte d'outre-monde ne cessèrent. Nous nous regardions, mes amis et moi, et ne soufflèrent mot à quiconque de nos observations, ou de notre expérience de la semaine passée.

Nous avions peur de lever une autre panique plus effrayante que celle que nous ne parvenions à réprimer qu’à grandes peines. Nous avions peur également d'être pris pour cible... Et si les témoins de l'évènement précédent étaient les seuls à pouvoir observer ces phénomènes contre-nature ? Et si à cause de cela, nous étions poursuivis pour abattre le silence en nos esprits ?

Il nous fallait plus de connaissances, peut être que l'humanité avait déjà subit de telles attaques et que l'histoire en gardait des traces... Nous décidâmes de créer un réseau, et mener une correspondance relatant ce que nous pourrions voir, entendre, apprendre à travers des archives, des ouvrages ou d'autres témoignages. Peut être apprendrions nous une cause raisonnable ? une solution peut être ? Nous espérions ne pas tomber dans une folie et que ce regard nouveau contemplant l'inexplicable n'est pas le signe d'une chute imminente...

Le 05 Octobre

Je me suis fait surprendre par la pluie. A la sortie du taffe, je n'avais pas fait dix mètres que le ciel s'est mis à déverser des tombereaux d'eau. Le ciel s'est obscurcit en l'espace de quelques minutes seulement. J'ai trouvé refuge dans le bar le plus proche, une sorte de pub un peu dans le style Irlandais. Le problème avec cette pluie, ce n'est pas tant sa soudaineté que le fait qu'elle puait. Même abrité, l'odeur indescriptible de charogne en décomposition avancée, de soufre oxydé, de végétaux pourris passe à travers les murs. Tout l'air en est saturé. des éclairs sillonnent le ciel sans ordre apparent. Je n'en ai jamais vu de tels. Ils ressemblent à ceux des orages de chaleurs, sauf que là, il ne fait pas même vingt degrés. Le ciel se déverse sans discontinuer et l'aspect chaleureux du pub se transforme très rapidement en endroit de la dernière chance. Le pub est maintenant bondé d'inconnus et leurs vêtements trempés ne parviennent qu'à étouffer la pestilence de l'air ambiant. Certains affichent un sourire et tente de rire de la situation, les cheveux dégoulinants d'une eau noire et boueuse au point qu'on se demande si ces gens ne se sont pas fait une mauvaise teinture. Les autres pressentent une certaine violence dans les éléments en furie, un certain responsable derrière ce déchaînement. Ils prennent du thé ou un chocolat chaud pour retrouver peut être les sensations d'un foyer protecteur. D'autres une bière bien fraîche et désaltérante pour se souvenir d'un temps meilleur où le soleil irradie sa chaleur.

Je tente d’oublier un peu le chaos extérieur en lisant la lettre que j'ai reçu une lettre de Lyon, d'un de mes amis avec qui j'ai partagé l'épisode du train. Il a commencé à mener des recherches et trouvé parmi les archives d'un journal local traitant d'astronomie, les faits divers célestes et autres contes plus ou moins surnaturels: comme des bolides perdus ou des étoiles filantes venant d’une partie improbable de l’univers, les étoiles clignotantes inexpliquées et d'autres phénomènes étranges qui n’ont au prime abord que peu de lien avec ces phénomènes. Il va chercher à raccorder les dates des évènements avec d'autres qui auraient pu toucher les gens du pays. C'est un angle de recherche auquel nous avions pensé du fait de l'affinité de cette entité pour les éléments naturels et surtout atmosphériques. Il m’indique également d’autres livres particuliers qui, n’ont que peu de pertinences scientifiques mais écrit par des personnes, aujourd’hui disparues, dans certains gouffres de la folie.

J'allais de mon coté plonger plus profondément dans l’histoire des endroits de Paris associés à de tels légendes ou histoires sombres tels que les catacombes, ce Paris des bas fonds où les reclus, les marginaux se contemplent dans certains spiritismes absurdes. J'avais conscience qu'il pourrait être difficile de séparer la réalité des allégations folles dont je serai peut être témoin mais un fond de vérité et la découvrir pourrait être une piste intéressante.

Ca y est, la pluie s'est arrêtée et avec elle cette odeur de mort. Les gens sortent petit à petit levant peureusement le regard vers le ciel redevenu bleu. Les trottoirs sont noircis, et comme embourbés. Quoique cela a été, les gens ont senti la présence de cette "chose". La tempête était très localisé comme si finalement, elle m’avait suivit et n’attendait qu’une chose, pouvoir s’abattre sur moi. Je crains que, cette entité ou quoique cela puisse être possède une certaine intelligence pour ne pas frapper à l’aveugle. Il va falloir que je trouve un moyen de m’en protéger…

Je me rend compte du danger à personnifier tout cela derrière une "entité". Il ne faudrait pas que je comprenne ce qui se passe sous le couvert d'une logique "humaine". Le chaos n'a pas de logique et encore moins d'humanité.

 

Le 07 Octobre

Je suis parti sur Lyon, précipitamment après un appel de mon ami durant la nuit. J'ai donc pris le train avec une certaine appréhension mais le ton urgent qu'il avait au téléphone ne m'a pas laissé le temps d'une autre solution. Avec le caractère fantastique des cieux, je préfère encore être sur le sol bien qu'aucun accident d'avion sensationnel ou inexpliqué ne soit encore arrivé.

A quelques dizaines de kilomètres de la ville, au cœur de la forêt, transpirait le surnaturel par l'entremise d'une sorte de pierre levé, de monolithe. Mon ami n'a pas su me décrire exactement sa géométrie, son histoire. Il semblait à la fois perturbé et excité. Le phénomène avait lieu toutes les nuits. Il ne comprenait pas mais plus qu'excité, il était comme fasciné. Il parlait avec de vagues mots, de solutions définitives à tout ce qui nous angoissait.

Ce que je tirai au milieu des qualificatifs comme, sensationnelle, d'une beauté incroyable fut que son origine était sans doute volcanique mais qu'elle n'appartenait pas aux montagnes environnantes. De l'étude qui avait été faite quelques décennies plus tôt par des géologues ressortait une datation assez imprécise de son origine. Cette pierre aurait été amené du cœur du massif central à l'époque du pléistocène, époque des premiers hominidés. Mon ami faisait le rapprochement avec les sites de pierres "debout" tel que Carnac ou encore Stonehenge, ces pierres qui ne parlaient plus se réveilleraient peut être comme celle-ci. Elles étaient, selon ses propres termes, des portes garantes de l’intégrité de notre monde…

Mon ami avait bien changé en à peine une semaine. Il avait un caractère très différent. D’habitude sceptique, réfléchi, calme et posé, il débordait d’une énergie que je ne lui connaissais pas. De plus, il semblait sans cesse distrait et ne parvenait pas à mener une discussion normale. Il revenait toujours à la Pierre. Nous sommes passés à un magasin de camping pour nous préparer à passer une nuit à observer le site. Je m'étais muni pour l'occasion d'une caméra numérique et de petits sacs plastiques, d'un marteau et d'un burin me permettant de prélever des échantillons du site alentour et du monolithe.

Ce qui s'est passé cette nuit... je ne peux le dire qu'avec des mots qui seront sans nul doute que trop faibles pour énoncer ma douleur, mon incompréhension totale, ma frayeur qui m'a fait défaillir plusieurs fois afin d'écrire ce récit et, la perte de mon ami... Je parle de perte même si le cercueil que nous avons mis en terre était vide...

Nous étions partis au soleil couchant en direction de l'est. Les villages que nous traversions devenaient au fur et à mesure du jour diminuant, de plus en plus gris, tristes et sans vie. Les maisons sans balconnières fleuries, aux façades fissurées remplaçaient celles propres et éclairées de vie. Les volets clos et défraîchis laissaient suinter une lumière blafarde. C'était la preuve que nous avions que quelqu'un vivait encore en ces lieux. Après la route bien goudronnée, nous avons pris un chemin forestier pour arriver sur un cul de sac. Un chemin pédestre continuait alors et s'enfonçait dans les bois. Ils faisaient encore bon pour un début d'octobre, nous ne devrions pas avoir trop froid. Nous marchâmes environ deux heures avant de déboucher sur une clairière entièrement tapissée d'épines de pins ou de sapins alors que les arbres du pourtour étaient des chênes ou des boulots. Alors que j'allais en faire la remarque à mon ami, je vis la pierre, droite et dressée en plein centre. La première impression fut très curieuse, j'avais du mal à le voir de manière précise. Il fallait sans cesse que j'accommode ma vision comme si il se trouvait trop loin pour mes yeux, juste trop loin. Je m'en approchais mais le malaise ne cessait pas, il ne faisait qu'augmenter. Mon ami, je le suspectais d'avoir pris quelque substance hallucinogène pour être dans un tel état extatique. A le croire, ça allait commencer... Je profitais de ce temps pour fixer la caméra sur son pied et observer les alentours et m'approcher au plus près de l'objet... Je ne décelais à la lumière de ma lampe torche aucune inscription visible. Mais lorsque je risquai ma main à toucher la pierre, elle n'était pas lisse, je ressentais une sorte d'écriture. Je pris alors un papier de mon sac et y appliquait un balayage au crayon de papier. Des motifs dont je ne connaissais pas la signification me furent ainsi révélés. Au fur et à mesure que l'heure approchait, une phosphorescence émanait légèrement de la pierre, irradiant la clairière d'une lumière bleutée, cassant les ombres des troncs fantomatiques.

Vers les deux heures du matin, le vent se leva brusquement si bien qu'une musique, ces flûtes déjà entendues auparavant, parvenaient d'entre les arbres, au delà des arbres je crois bien. Je mis ma caméra en route. Mon ami me dit qu'il était heureux que j'ai répondu à l'invitation, qu’ "Ils voulaient que je vienne". Qui étaient "ils" ? Si mon ami me répondit, je n'entendis pas la réponse. Un lourd grondement survint. Mon ami bondit alors du couvert des arbres pour s'approcher du monolithe dont la phosphorescence pulsait comme une sorte de cœur sanglant. Il dansait autour, une sorte de danse saccadée, qui n'avait pour moi aucun sens. Il se déshabillait petit à petit. Le tonnerre n'avait de cesse et ponctuait, rythmait les gestes et les pas du danseur. La foudre frappa la pierre une première fois, m'aveuglant presque. Un nuage d'une couleur indéfinissable, une sorte d'orange bleu se dégageait et se compactait autour de mon ami, désormais nu. Le nuage l'enveloppa en une sorte de grande robe de cérémonie, ne laissant que son visage à découvert. Ce visage, ce n'était plus celui de mon ami, c'était un masque d'horreur où les yeux brillaient, tournant de manière non synchrone, la bouche était déformée en un rictus morbide et carnassier. Dans le bruit persistant des flûtes lointaines et du tambour atmosphérique, j'entendis, mais peut être est-ce mon imagination trois mots comme prononcés en une multitude de voix : Grakh, Fruhzà, Arkr. 

Un second éclair frappa le monolithe. Rien ne se dégagea sinon une forte odeur de charogne. L'odeur venait du sol devenu grouillants d'asticots comme si les épines de pins n'étaient que cela, des asticots par millions rampant les uns sur les autres dans un suintement squameux. J'appelais mon ami à m'en casser la voix... Je crois que j'espérais quelque chose, une sorte de réveil. Je tentais un pas vers lui mais le sol ne me soutins pas. Je ne sais pas quelle profondeur avait pris la clairière mais un geste rapide me permis de raccrocher à une racine et me hisser hors de la fosse sans fond. Je me débarrassais à grands gestes de ces vers morbides.

Un troisième éclair frappa alors la Pierre. Je relevais la tête, mon ami n'était plus, la vapeur colorée non plus, la "musique" avait cessé. Le monolithe pulsait encore mais bien plus lentement. De son ombre, sortit une ombre plus noire, plus... Je crois que ça m'a vu. Je n'ai fait que courir à me rompre le cou. Je sentais dans les secondes de flottement, une emprise à l'intérieur de mon crâne. J'hurlais sans discontinuer...

Je me suis réveillé, sans souvenir de la suite de ma fuite. J'ai peur que quelque chose se soit mise dans ma tête, de ne pas avoir fui assez vite. Un vieux fermier m'a recueilli alors que je hurlais dans sa cour, me roulant dans mes propres excréments.

Je sens la peur du fermier dans ses yeux. Il sent ma peur mais ne me pose pas de questions. Je ne suis pas prêt encore à raconter à d’autres et encore moins à retourner à cet endroit...

 

Le 10 Octobre

Je me suis occupé de l'enterrement de mon ami bien qu'il n'y ait rien à enterrer. Je retournais chez lui à la demande de sa famille pour réunir ses affaires. Je profitais de l'occasion pour fouiller son bureau et ses recherches. Des indices sur ce qui avait pu le posséder, dominer son esprit en si peu de temps s’y trouveraient peut être. Son bureau ne contenait qu'une large table et un fauteuil qui avait du être confortable. Des piles de livres s'entassaient en tout sens dans la pièce. Je trouvais sur la table, un bocal rempli d'épines de sapins. Elles appartenaient à n'en pas douter à la clairière du monolithe. Il avait également remarquer l’incohérence avant de glisser vers la folie, je le glissais dans mon sac pour des analyses qui pourraient révéler quelque chose d'anormal. Une pile de feuilles bien ordonnée et neuve était remplit de l'écriture si particulière de mon ami. Les pages étaient datées, celle du dessus portaient celle de la veille de mon arrivée. Sa lecture en diagonal me renseigna sur son état d'esprit, un esprit déjà obscurcit et dérangé. Plusieurs fois étaient répétés les mots sacrifices nécessaires, immortalité, dimension inconnue/inhumaine. D’autres que j'avais pris pour des possible hallucinations auditives étaient également transcrits avec une orthographe légèrement différente. D'autres, bien qu'ils pouvaient être assimilés aux mêmes origines culturelles que la première, étaient également inscrits. Il n’y avait aucune intégrité entre chacun, seulement des mots, jetés pêle-mêle sur les feuilles.

La nuit approchait et l'électricité avait déjà été coupée. Une pâle lumière parvenait dans la pièce. Ne pouvant aller plus avant dans mes recherches, je pris ce que j’avais trouvé sur le bureau sans plus de tri. Il y avait de fortes chances que ce soient les derniers livres ouverts par mon ami. J’y reviendrai le lendemain pour aller plus avant dans mon exploration.

J'étudierai à l'hôtel ce que j'avais et reviendrai au besoin le lendemain. Les pages manuscrites étaient toutes à l'image de celles lues à son appartement. Des mots incompréhensibles au milieu d'autres aux connotations mystérieuses faisait état d'un esprit torturé ou malade. Ce qui était davantage intéressant et pouvait peut être lever le voile sur ces dernières étaient les livres emportés dans ma hâte. Le premier traitait de phénomènes paranormaux et fantastiques de la région. Le second, du symbolisme chez les civilisations antiques : égyptienne, grecque, étrusque, nordique mais également d'outre atlantique telle que les toltèques ou d’autres tribus amazoniennes. Des relations étaient faites entre des symboles identiques de tout ces peuples et émettaient l'hypothèse qu'une entité supérieure s'était manifestée à travers les éléments naturels...

Bien qu'ayant une connaissance médiocre de ces cultures, je pouvais jurer ne jamais avoir vu de tels symboles. Une aide en la matière me serait précieuse. Les sources des différents documents cités restent plutôt obscures. Une recherche informatique ne me conduisit qu'à de nombreux échecs. Un forum abandonné depuis quelques années au vu du dernier message présentait quelques photos similaires. Je recherchais le webmestre du site, peut être aurait-il des informations tangibles...mais je n'avais guère d'illusions.

L'auteur des chroniques fantastiques de la région était décédé il y a plusieurs années à la maison psychiatrique de Lyon, il y avait passé plusieurs années atteint de schizophrénie. Je trouvais vite des relations entres les deux livres et la page griffonnée à l'aide d'un crayon que j'avais effectué sur le monolithe. Les symboles étaient en tout point semblabes avec ceux les plus "reconnus" comme universel par le livre. Entre tous, trois resurgir plus fort en mon esprit et bien que le livre parlait d'écriture phonétique retranscrit dans un manuscrit grecque. Il n'y avait aucun doute possible : Grakh, Fruhza et Akh'r étaient là.

Ajout : A l'heure où j'écrivais ces mots... L'appartement de mon ami a été incendié et bien que les pompiers n'aient aucune évidence quant à une responsabilité humaine, ils ne trouvent aucune trace expliquant cette soudaineté et une température qui a du être bien supérieure à un incendie normal...

            Le film réalisé de la nuit de la disparition est totalement illisible. Bien qu’il y ait rien à l’image, je sais que ce n’est pas le simple jeu de mes sens. Quelque chose a brouillé le capteur, peut être qu’un fort champ magnétique pourrait expliquer cela.

 

Le 12 Octobre

J'ai passé cette semaine à déchiffrer les glyphes de mon ami disparu. Espérant y trouver une piste, des indices, quelque chose de concret sur quoi faire reposer mes actions. Les phénomènes augmentent en fréquence et en brutalité. S'ils se faisaient discrets, il y a encore peu de temps, chaque quidam en a été désormais le témoin ou pire, le supplicié. Un vent de folie se répand à travers les pays.

Cette puissance obscure et sans âge semble s'être présentée partout et si une civilisation en a été le témoin, c'est sous la forme d'un peuple d'esclaves, de possédés, de suivants. Depuis les jours glorieux du monothéisme, les preuves de sa présence se sont fait plus discrets. Il n'y a guère que de mouvements composés de quelques dizaines de membres qui sont sortis des ombres ou qui ont été révélés lors des croisades et autres guerres, religieuses ou non.

Ce qui ne cesse de m'étonner, c'est qu'au delà des âges, des cultures, des croyances, certains symboles sont présents et universels, des grottes du néolithiques jusqu'aux peintures rupestres indonésiennes, d'anciennes tombes égyptiennes, chinoises ou aztèques jusqu'à certains objets cérémoniaux : totems indiens, poteries amazoniennes.

Il recouvrent toujours une signification inconnue ou interdite. Les hypothèses des divers historiens et archéologues sont multiples et n'expliquent que peu de choses par rapport à ce qui nous touche aujourd'hui. Les symboles sont repris par des fidèles de ce mythe occulte sans qu'ils ne connaissent l'existence de cet Absolu. Je me refuse à appeler Dieu ce qui ne pourrai être qu'une exhalation fétide et génitrice de ces phénomènes d'une entité plus grande encore...

Les schémas des dieux punis, des guerres cosmiques de l'ordre et du chaos, des dieux bannis, des démons libérés remontent à la surface et sont autant de diatribes lancées par quiconque sur le ton d'un prédicateur. Aujourd’hui, il est difficile de marcher plus de quelques centaines de mètres sans voir une petite foule agglutinée autour d'un pantin gesticulant.

Grakh, Fruz'h, Akh'r, le trône, la porte... Les mots résonnent sans cesse dans ma tête, ne me lâchant bien souvent qu'au petit matin...

D'autres ruines se réveillent, d'anciens châteaux, d'anciens lieux druidiques et d'autres insoupçonnés laissent sourdre une noirceur aux origines inconnues. Le gouvernement appelle au calme et à une reprise d'activité mais le cœur n'y ait plus et certains des ministres se sont même échappés dans un paradis terrestre qui n’est sans doute que temporaire.

J'ai rendez-vous prochainement avec un membre occulte du culte de Knarg'hulk. Si le nom m'est inconnu, il résonne avec Grakh, Akh'r... Cet instinct ne repose sur pas grand chose. Mais je ne pense pas perdre grand chose à essayer de comprendre un peu plus la folie des hommes face à celle que j'ai envie d'appeler simplement Folie, car sa nature semble bien être de cet ordre...

 

Le 16 Octobre

Je reviens du rendez-vous, sans doute le plus étrange auquel il m’ait été donné de participer. Hormis l’aspect mystérieux qui englobait notre rencontre : nous nous rencontrés dans une salle des catacombes qu’il m’avait fallut trouver après un jeu de piste de plusieurs jours ; Il y avait eut une force vivante et bouleversante, si j’ose dire, positive et naturelle, qui m’avait fait succomber davantage encore au charme de la sœur du culte de Knarg’hulk.

Quelque chose d’ancien et sans âge sont les gardiens de la vie, de la nature, de cette évolution libre, née des liens multiples que chaque individu entretient avec les autres. Voilà comment se définissait cette secte.

Quelque chose d’ancien et sans âge cherche à se libérer des gardiens. Des sceaux ont été brisés, des portes murées ont été rétablies, des salles comblées ont été déblayées. Certains l’ont été par la bêtise humaine et leur manque de connaissance, d’autres l’ont été par une volonté définie, sans doute plus meurtrière. Des fissures légères laissant suinter cette énergie néfaste ont menés à leur agrandissement d’abord puis à la manipulation d’esprits humains. Le phénomène s’accroissait sans cesse désormais.

Comme tout combat entre de telles forces, de telles entités, la libérer complètement mènerait à un chaos sans précédent et à une disparition du temps. La contraindre totalement renverrait à un immobilisme du vivant, une inertie totale, une entropie nulle, une destruction du temps. Un équilibre devait être maintenu. Les gardiens appartenaient à plusieurs cultes répartis sur la planète, celui de Knarg’hulk était l’entre d’eux. Ils maintenaient une balance entre l’ordre et la nature et cette sorte de chaos que nous, humains, percevions comme tant destructeur.

Je lui racontais qui j’étais et ce dont j’avais été témoin. Je me sentais en confiance telle que je ne l’ai jamais ressentie avant vis-à-vis d’un inconnu. Elle s’appelle Amaranta. Bien que je n’ai vu qu’à la pâle lueur d’une lampe torche provenant du couloir où elle m’avait demandé de laisser mes affaires, par le son de sa voix, et ses expressions, je peux attester de sa beauté.

Elle m’a raconté certaines choses qui complètent et concrétisent mes craintes. Des disparitions inexpliquées, il y a en a toujours eu. Cela fait partie de leur travail mais leur fréquence grandissante est un indice de leur incompétence à maintenir cette force. Des lueurs et des phénomènes inexpliqués, il y a en a également toujours eu mais qu’ils s’accompagnent d’odeur de décomposition, de mots perceptibles, de cette musique inhumaine, voilà qui n’étaient pas normal…

Le nombre de disciples au sein de leur culte a diminué insidieusement au fur et à mesure des siècles mais le problème vient de certaines de leurs antennes dont ils ne reçoivent plus de nouvelles depuis bien trop longtemps. Quelques émissaires ont été envoyés mais leur retour se fait douloureusement attendre. S’ils ont pu calmer les fuites sur Paris, ils ne peuvent se permettre de fermer hermétiquement, tout les portails, portes et salles. Un peu comme un système de vases communicants, d’autres lieux seraient littéralement en proie à la plus grande destruction, altération des sens d’abord avant celui du temps. Des micro espaces où l’écoulement du temps et les lois de la physiques seraient différentes naîtraient alors et grignoteraient petit à petit l’espace naturel.

Je lui demandais pour quelle raison elle me racontait tout ça… Je trouvais plutôt suspect le fait d’avoir été ainsi « choisis ». Je n’étais pas le seul badaud à traîner dans le coin, le jour où on m’avait pris à part pour me proposer ce rendez-vous. Les choses étaient simples : je correspondais au profil : curieux, prêt à croire l’impossible mais pas crédule pour autant. Une enquête discrète sur ma personne avait été réalisée depuis que mon ami disparu avait sorti de la bibliothèque ces ouvrages particuliers. Le jour où ils l’avaient contacté, il était déjà perdu. Ils avaient craints que je ne disparaisse également, n’arrivant toujours que trop tard pour m’interpeller.

Je ne deviendrai pas un disciple à part entière. Ils étaient formés dès leur plus jeune âge pour accomplir cette tâche. Je pourrai être leur yeux manquants et ainsi rapporter ce qu’ils ne parvenaient pas à déterminer : pourquoi l’agence situé au sud de la France avait complètement disparu. N’étant pas marqué par cette entité néfaste comme eux l’étaient à force de s’en approcher au quotidien, j’avais des chances de ne pas mourrir comme leur émissaires. Cette enquête ne serait pas sans risque. Amaranta me remis un médaillon, qu’il me suffirait de presser dans ma main et de formuler la phrase Hulk Garzolu Amaranta Kha pour établir autour de moi une sorte de barrière protectrice qui me permettrait de m’échapper. Bien que je ne croyais pas en ce grigri, je me dis que je pourrai toujours y trouver du réconfort en cas de pépins. Prochaine étape : Marseille et certaines ruines troglodytes présentes le long des calanques…

 

Le 20 Octobre

Je suis arrivé sur Marseille, la journée s'annonce belle et ensoleillée. Très vite je constate l'état de peur et de crainte des habitants moins protégés que ceux de Paris comme me l'avait annoncé Amaranta. Les rues sont jonchées de détritus insolites comme si le contenu des immeubles en avait été vomi par quelques typhons intérieurs. Je cherchais à prendre un bus qui m'amènerait au delà de la pointe rouge jusqu'à la calanque de la Callelongue. De là, après quelques heures de marche, je devrai pouvoir gagner les grottes où les portails avaient dus céder au cœur de la roche. Amaranta m'avait donné les indications nécessaires pour que même sans lumière, en étant prudent, je puisse retrouver mon chemin. J'avais mémorisé le plan des galeries, heureusement pour moi, bien moins complexe que celui des catacombes parisiennes.

Je ne peux dire si la folie avait réellement gagné la population entière de la ville. Mais une partie importante semblait glisser doucement vers un terrain de la psychologie encore inconnu. Il arrivait à certaines personnes marchant normalement, de se mettre à courir dans une direction tout à fait aléatoire durant quelques secondes avant de reprendre leur esprit et reprendre un rythme plus normal. Je n'arrivais à lire dans leur yeux, qu'une incompréhension, une crainte sans fondement qui les déséquilibrait davantage encore. Une autre personne qui attendant tout comme moi le bus 19, me fit part posément de sa théorie d'un complot terroriste, du début d'une guerre bactériologique avant de se mettre à hurler d'une autre voix et à s'enfuir de l'autre coté de la rue. Lorsque sa crise cessa, il était de nouveau lui-même, et me cria, qu'il était peut être encore temps de fuir avant d'être totalement détruit de l'intérieur.

Le bus arriva enfin après plus de quarante minutes d'attente. Le chauffeur semblait être scellé à son siège tant son obésité le recouvrait en entier. Il me demandait où je voulais aller. Depuis que les gens étaient à moitié fous, il trainait dans son bus et se sentait à l'abri. Son dernier passage datait depuis plus d'une semaine, il avait demandé à aller au vieux port. De là, il l'avait vu sortir en courant, criant d'une langue inconnue avant de se jeter dans l'eau. Le vieux port ne ressemblait plus du tout au souvenir que j’en avais. Il ne restait que peu de bateaux et ceux-ci gisaient pour la moitié retournés, pour l’autre sur les quais. Pour lui, tout avait commencé à se dégrader depuis un mois environ. De manière lancinante d'abord, c'était rien, peut être un peu plus de disputes, un peu plus de délinquances et puis les mafieux locaux s'étaient détruits de l'intérieurs, les petites frappes locales avaient disparus également comme par enchantement et plutôt d'avoir un sentiment d'assurance dans les rues, ça avait été le contraire. Les gens se tournaient contre leur proches et s'ils avaient personnes, ils se tournaient contre eux-mêmes.  Le chauffeur s'appelait Arsène. Pour lui, tant que le moteur de son bus ronronnerait, tout irait bien. Il pensait que cela pouvait filtrer quelques ondes qui atteignaient les hommes directement au cerveau pour les posséder ainsi et les rendre complètement fadas... Il fallut plus de deux heures à un trajet qui ne demandait d'habitude que trente minutes tant les rues étaient bloquées par des voitures sans passager, des personnes dormant à même le goudron ou d'autres choses que mon regard s'est refusé à décrire. Ils étaient plusieurs comme Arsène à tenir droit, ils ne voulaient pas fuir, ils étaient nés ici et pour toute les belles choses qu'ils avaient vécu, jamais il ne quitterait ceux qu'ils pourraient encore aider d'une manière ou d'une autre. J'arrivais à Callelongue, complètement déserte, et à moitié détruite comme si les habitants avaient voulu se soustraire à la surface du monde par leurs propres moyens. Le ciel était d'un bleu limpide et il faisait plutôt chaud pour l'arrière-saison. Je n'ai jamais vu un ciel aussi menaçant, aussi pesant. Arsène me souhaita bonne chance en refermant la porte du bus.

Je me suis profilé alors en suivant l’itinéraire tortueux qu'Amaranta m'avait conseillé en suivant les procédures qu'en d'autres temps, j'aurai moqué, les affublant de superstitions. J'avais peur et je fondais plusieurs fois en larmes sans raison réelle sinon aux souvenirs de ces gens devenus fous que les autorités, devenant folles elles aussi, ne parvenaient pas à contenir. La mystérieuse Amaranta me suivait en pensée, et je pressais fort le médaillon en pensant à elle, sans toutefois prononcer la phrase incantatoire. Peut être que cette pensée agit comme un charme. Toujours est-il que je me remis en marche et j'atteignis l'entrée vers le milieu de la journée. Elle était discrètement dissimulée derrière quelques bosquets de pins, l'entrée vers les couloirs et les salles où j'espérais trouver des traces et peut être une explication à leurs disparitions. Je m'armais de ma lampe frontale et d'une lampe torche pour dissiper les ténèbres à leur maximum. Après le premier couloir courbé, je parvins à une salle où reposait quelques nattes et lits de fortunes ainsi qu'une petite pièce attenante où un groupe électrogène était éteint. La réserve était vide. De cette salle, deux couloirs en partaient, le premier allant jusqu'à un bureau d'étude, le second s'enfonçant plus profondément vers des salles de réunions et d'autres chambres et celles où se trouvaient les portails. Je commençais par le premier. Je me disais, pour me rassurer un peu, qu’il y aurait moins de chances de tomber sur de l’inexplicable...

Il n'y avait pas d'odeur particulière, pas même celle d'une humidité à laquelle on s'attend à pénétrer dans une grotte. Autour d'une table, quatre individus étaient assis, comme s’ils étaient en train de discuter. Je ne connais pas les processus attenants à la mort de l'être l'humain surtout en ce qui concerne ceux de la momification. Je n'expliquais donc pas l'état si conservé de ces corps à moins de cent mètres de l'extérieur. Le reste de la pièce était composé de nombreuses étagères. Mais ce qui était passé par là avait ravagé tout les ouvrages, pas un seul ne tenait entier et mes essais pour en découvrir le titre de certains ne connurent que des échecs. La couverture se morcelait sous le moindre souffle. Tout retournerait à la poussière et ne tenait que par une sorte d'altération de l'écoulement du temps ou un changement des règles structurant la matière. Je suis retourné à l 'extérieur pour y mettre ce journal. Je ne voudrai pas qu'il soit perdu si jamais je dois disparaître d’une manière ou d’une autre. Je garde sur moi le médaillon et même si j'espère retourner à l'extérieur, je pars avec la ferme intention de trouver, découvrir un peu de vérité. Si ce que j'ai vu jusqu'à présent, ne m'a pas rendu fou, peut-être ce que je verrai ne me donnera pas d'autres alternatives de salut. J'espère que ce journal pourra en tout cas, être une aide, aussi pauvre soit-elle...

J'embrasse une dernière fois l'horizon de cette mer, de ce ciel, de cette nature. Je respire l'odeur des pins. J'ai déjà peur de manquer de tout cela...

Le 22 Octobre

J'ai retrouvé le journal sous des pierres à l'entrée de la grotte...Les traces laissées ne m'ont laissé aucun doute. La poussière qui n'était pas dérangée par le vent après le premier coude montrait des empreintes que j'imputais facilement à Pièr. Les marques étaient les mêmes que celles qu'il avait laissé lors de sa visite aux catacombes.

Je me permets d'écrire à sa suite... après ce que j'ai perçu, je ne pense pas qu'il puisse écrire de si tôt...Il m'a appelé, j'ai clairement senti son appel, et j'ai eu beau faire tout les sortilèges de protection de ma connaissance, rien y a fait. Je l'ai entendu crier, hurler sa peine et sa souffrance, s'arrachant les ongles contre les parois de pierre. Il a été emmené, je ne sais pas pourquoi. Alors que les autres ont été désincarnés, asséchés de toute vie. Pièr a subit un sort plus étrange, plus sombre. Il a été comme désintégré... Les traces de ses pas conduisent dans la roche dense comme s’il l'avait traversé, comme si pour lui, elle s'était ouverte, absorbé ainsi par ce mal mauvais. Le médaillon, que je lui ai donné, est parti avec lui mais ma connexion est comme distordu, ou rompu...

Je peine à oublier ce qui résonne effroyablement à mes oreilles. Je peine à comprendre ce qui m'a poussé à l'envoyer vers cette mort...J'essaie de ne me pas m'accuser de son destin. Je me souviens de son regard avant qu'il parte, résolu, avec cette fièvre de l'aventurier ou du découvreur...Il n'était sans doute pas sufisament près mais le temps nous manque si cruellement...

Où trouver une telle âme maintenant ? Tout les augures le présentait comme une clef aux malheurs qui nous étranglent davantage chaque jour. Nous formons des jeunes disciples que nous épuisons aux tâches de surveillance et il faudra des années avant qu’ils ne puissent agir réellement...Survivrons nous jusque là ? N'y a t'il vraiment aucun espoir ? Je ne sais plus vers qui me tourner pour réduire les tentacules vomissantes du chaos millénaire. Je ne sais plus quoi faire...

Je suis tombée à genoux. Je me suis mise à prier alors... J'ai fais le calme à l'intérieur de moi. J'ai fait une boule de ma rancœur, de mes faiblesses, de mes échecs, de ma culpabilité, de mon incompréhension, une boule que j'ai entouré d'un calme et d'une plénitude infinie. Je suis Amaranta Belguarda et si je suis encore là, c’est pour une raison...

Je ne sais pas combien de temps je suis restée prostrée dans cette position. Le soleil faiblissait déjà à l'horizon lorsque j'ouvris les yeux et je vis clairement devant mes yeux, sortit de nulle part, écrit en lettres azurées comme si les étoiles s'étaient arrangées pour écrire un message : Hulk Garzolu Amaranta Kha...

 

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