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13 mai 2011 5 13 /05 /mai /2011 14:28

 

Bip… Bip… Bip


A l’hôpital Saint-Marguerite, depuis que le docteur Shepard est arrivé, il n’y a eu aucun décès. Enfin, sauf ceux qui arrivaient trop tard après de graves accidents domestiques ou d’accidents de la route. Du coup, le docteur Shepard n’avait pas une minute à lui. Tout le monde voulait le docteur Shepard et d’autant plus lorsque le patient avait tout essayé et savait qu’il était condamné. Sidéen, Cancéreux en phase terminal, d’autres cas encore qui souffraient de maladie orpheline ou auto-immune grave. Virus, bactéries, parasites…rien ne survivait au Docteur Shepard. A le croire, il pouvait soigner n’importe quoi du moment qu’il s’agisse d’un dérèglement de l’esprit et du corps, d’un manque de cohérence entre ce que vivait et parfois subissait l’individu et ce qu’il voulait vivre…

 

Ces paroles quasi-mystiques avaient soulevés de grands appels de la part de ses pairs médecins qui voulaient plus que soigner mais véritablement guérir des maux ancestraux que l’homme connaissait, de grands appels du public aussi qu’il soit sceptique ou bien qu’il soit déçu qu’un homme préserve un si grand secret autour de sa manière de réaliser ces miracles. Certaines communautés avaient créé un culte dévoué à ce Docteur, pensant que c’était le Christ ressuscité venu soigner ceux qui méritaient d’être sauvés. L’apocalypse telle qu’elle était décrite avait déjà commencée… Combien d’investigations étaient venu déranger la quiétude de l’hôpital Sainte-Marguerite, je ne sais pas.

 

Toujours est-il qu’ils n’ont jamais rien trouvé de suspect. En fait, ce qui pourrait paraître le plus bizarre c’est que le docteur Shepard est seul. Pas d’amis, pas de familles, pas de petite amie. Pas de maison, il vit directement dans son bureau, il ne s’en est jamais caché et avait même fait une requête en ce sens auprès de la direction. Il répondait invariablement qu’il n’avait pas besoin de sortir. Il y avait trop de de choses à faire et puis, il avait tout le confort ici. De plus sa famille et ses amis étaient ses patients. Il avait son comptant de relations humaines. Il avait fait son internat et l’avait obtenu haut la main. Il connaissait tout sur tout sans aucun défaut. Il refusait d’aller aux conférences internationales, et n’aimait pas ses collègues qu’il traitait sans ciller de bouchers ou bien de vulgaires rebouteux. Ce qui avait fait connaître le docteur Shepard c’est simplement le compte-rendu de l’hôpital qu’il faisait tous les ans au ministère de la santé. Les politiques s’étaient tout de suite targués d’une telle réussite comme quoi le manque de moyen n’était que billevesées de la part de fainéants et de gens limités cérébralement… Un peu plus tard, lorsqu’une commission s’était penchée un peu davantage, ils avaient trouvé qu’un seul homme était responsable, le docteur Shepard.


Bip … Bip… Bip


Il avait la cinquantaine, les cheveux grisonnants légèrement, les yeux bleus toujours à moitié fermés semblait-il derrière des lunettes un peu sales. Son regard vous transperçait néanmoins et  la première pensée que j’ai eu en le voyant a été, heureusement qu’il n’ouvre pas les yeux en grand. Il est plutôt grand, un peu au-dessus de la moyenne et plutôt bien portant. Il avait dû faire du sport étant jeune pour conserver cette stature. Il répétait sans cesse : ce qu’esprit veut, le corps peut. La limite ne tient qu’à la communication entre les deux. Il est plus question de vision des possibilités que des impossibilités. Malheureusement, la vie (il entendait sans doute par-là, le contexte social et autre) limitait nos envies à ce qu’elle pouvait offrir au distributeur alors que des distributeurs, il y en avait des milliers et plus et que les produits dont ils étaient remplis garantissait cette plus grande liberté encore. Mieux, il n’y pas de distributeurs, vous êtes le distributeur de votre vie. Lorsque je l’avais entendu parler, j’avais compris pourquoi des communautés spirituelles s’étaient créées autour de la personnalité du docteur Shepard avec un sens de la formule et de la métaphore comme ça…


Bip… Bip… Bip

 

Je suis arrivé chez le docteur Shepard à l’hôpital Saint-Marguerite le 25 Janvier pour une dystrophie musculaire de Duchenne qui avait atteint le cœur. J’étais foutu à l’aube de mes trente ans. Ce n’est pas que ma vie ressemble à un rêve que tout le monde souhaiterait de vivre. Petit boulot peinard dans un magasin de musique, pas de petite amie en vue, quelques amis avec qui je partage mes passions et que je voie de temps en temps…mais bon c’est ma vie…La seule chance dans cette vie a été de vivre à côté de l’hôpital et d’avoir croisé le docteur Shepard alors que j’allais voir un ami qui s’était fracturé la jambe. Je ne savais pas qui c’était à l’époque. J’ai dit bonjour comme j’aurai dit bonjour à toute personne qu’on croise dans les couloirs d’un hôpital. Le truc c’est qu’il s’était arrêté devant et avait dit : « DMD hein ? ». Je l’ai regardé, un peu surpris, c’est quand même pas le genre de maladie qu’on porte sur le front même si je m’essouffle vite après une seule volée de marche. J’ai répondu oui et il m’a répondu : « prenez un rendez-vous, il n’est pas trop tard… ». La première pensée a été : « c’est qui ce con de doc’ » et très vite « comment il sait de quoi je souffre ». J’ai pris rendez-vous donc et j’attends… L’opération, la manipulation, le … truc, c’est pour demain. J’ai fait tous les tests. Je ne sais toujours pas de quoi il retourne… Le docteur Shepard ne parle que de cohérence corps esprit, et j’avoue qu’il a raison sur l’existence de cette relation, car il m’échauffe l’esprit et par conséquence, j’en tremble d’énervement.

 

Bip… Bip… Bip.

 

Il est trois heures du mat, je me retourne sur le lit, en sueur à force de me retourner. Mon esprit vagabonde et tourne en rond sans trouver une respiration calme et serine. Je décide de me lever et tant pis d’aller dans le bureau de Shepard. Je pourrai peut-être y trouver de quoi assouvir ma curiosité… Son bureau est juste à l’autre bout du couloir. En prenant soin d’éviter l’office des infirmières, c’est à trente mètres à peine. Sinon il faudrait que je fasse le tour entier de l’étage et qui sait qui je pourrai rencontrer. Je m’approche prudemment, penche la tête dans l’embrasure… elle dort. Je me suis inquiété pour rien. La porte du bureau de Shepard est vieille, elle date d’avant la rénovation de l’hopital où tout le mobilier avait été changé, les murs repeints et les sols refaits. Elle a reçu maintes couches de vernis au cours des ans et est ajourée d’une vitre épaisse et sablée de manière à préserver l’intimité du cabinet tout en permettant un peu plus de lumière de rentrer. Je pousse doucement la poignée, elle est ouverte. Une lumière blafarde est projetée sur le bureau et à part la pâle lumière du couloir, tout le reste est plongé dans l’obscurité. J’éprouve à ce moment quelques frissons de crainte, c’est un peu comme si, les ombres s’étendaient un peu trop au-delà de leur territoire, comme si elles étaient plus fortes que ce que les lois normales leurs imposaient. Je me rends compte que c’est un peu bizarre ce que je vous dis. Mettons ça sur le fait de mon esprit agité et qu’il est trois heures du matin.

 

« Monsieur C., je vous attendais un peu plus tôt que ça » La voix du docteur Shepard me prend au dépourvu et je reste tétanisé tandis qu’il avance le buste sur son bureau. Je ne l’avais pas vu assis au fond de son fauteuil.

_ heu… plus tôt ?

_ oui, vers minuit minuit trente…

_ Je n’arrive pas à dormir

Il lève un sourcil amusé. C’est comme s’il savait déjà de quoi il allait être question, quelles étaient mes craintes, … Il est en avance.

_ J’ai des questions

_ Bien sûr que vous avez des questions ! Il me coupe la parole se lève et s’avance vers moi, son sourire dans la pénombre me fait trembler…

_ Mais d’abord… Allumons la lumière, nous allons déranger personne et ce sera plus confortable pour tout le monde.

La pièce en pleine lumière et un peu plus réconfortante déjà. Les boiseries qui ornent les murs et constituent tout les meubles donnent une chaleur à cette pièce et le grand tapis persan qui fait presque toute la surface du bureau est plus chaleureux que le carrelage nu du couloir et de la chambre.

_ Vous n’êtes pas là pour m’entendre blablater sur le corps et l’esprit n’est-ce pas ? Certains patients s’en contentent, ce qui fait dénote d’un manque cruel d’humanité, selon moi. L’homme se définit avant toute chose par sa curiosité non ? M’enfin, je les sauve quand même. Il rit de sa position de force avec un mélange de bonhommie et de résignation qui me surprend, j’avoue.

_ En quoi va consister l’opération ?

_ Nous avons déjà commencé mais vous n’en avez pas conscience encore. Cela viendra tout à fait vers onze et quart demain matin. Ce qui nous laisse… Il regarde le pendule, presque huit heures pour achever votre parfait rétablissement monsieur C.

« Asseyez-vous et détendez-vous, je vais tout vous apprendre ». Il découvre un panneau de bois derrière son bureau et allume une sorte de vidéo-projecteur.

 

Bip… Bip… Bip …

 

_ La cohérence… Je vous en ai déjà parlé… Le principe de cohérence va au-delà de simples notions philosophiques. Il s’installe dans le moindre de nos gestes en fait, si bien qu’il est difficile de créer une incohérence… Mais la création d’une telle incohérence se résout dans un nouvel ordre qui assujettit le reste pour le rendre cohérent… me suivez-vous ?

_ Une incohérence… devient cohérence ?

_ hum, plutôt que l’incohérence pour vivre va devoir se créer un monde dans lequel l’incohérence devient cohérence oui…

_ Créer un monde…

_ C’est le point. Ce projecteur placé derrière vous n’est pas … un simple projecteur même si c’est finalement son utilité. Ce qu’il projette, des incohérences bien sûr à un niveau sub-atomique extrêmement poussé. Vous êtes entre le projecteur et l’écran, voyez-vous… Je vous rend simplement incohérent.

 

J’ai essayé de me lever mais je ne pouvais pas. J’étais tétanisé, complètement bloqué. Les muscles de mes jambes tremblaient. Voulais-je vraiment savoir ? Ce que j’avais peur c’est que finalement, un monde allait être créer à partir de moi, un monde où mon incohérence deviendrait cohérence. Mais ma maladie ?

_ Les particules incohérentes se fixent sur tout votre corps monsieur C mais de manière plus concentrée sur vos problèmes. Il y en aura tellement que toutes cellules malades et malsaines deviendra incohérente. Un monde sera créé à l’image de cette incohérence. Dans ce monde, votre maladie ne serait-plus un problème.

_ Ma vie…je vais la perdre !

_ Bien sûr que non, vous allez la continuer. Vous ne verrez pas la différence… Ce monde sera en tout point le même mais la maladie qui vous afflige ne vous détruira plus.

_ Dans ce cas pourquoi cette maladie ne disparaîtrait pas complètement ?

_ Je ne soigne que vous… toute personne est différente, votre nouveau monde de les altère pas, il se limite à votre corps et à votre âme, monsieur C.

_ Que se passerait-il s’il y avait trop d’incohérences ? Pourrait-il y avoir encore un ordre ou tout sombrerait dans un chaos, qui deviendrait le seul ordre possible ?

_ Voilà bien la seule question qui n’a pas de réponses encore…

 

Bip… Bip… Bip…

 

 

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