Gorth, le réprouvé, s'arrache des Cœurs Joyaux pour suspendre à sa vie quelque rêve de gloire, quelque visage d'espoir... Gorth s'enthousiasmait pour les autres à l'ombre de ses propres désirs, et de son propre désenchantement surgissaient en pointes acérées quelques larmes de beauté. Il s'était placé au centre des étoiles, dos à la grande dune millénaire, il s'était emporté à considérer son existence... voilà deux mois qu'il gravitait seul sans que de nul être vivant, il ait vu quelconque signe... Tout cela n'avait été t-il que cauchemars? Après une nuit de tremblements où la brume rendait la lune blafarde, Gorth reprit sa route, toujours forçant chaque souffle pour traverser l'abîme qui l'amènerait peut-être vers une nouvelle liberté...
Tamal'hik veillait sur le vivant et l'immortel, peut-être surveillait-il Gorth pour qu'à travers cet océan de braises, il puisse vivre encore une dernière fois… Ce fut d'abord un simple chuchotement comme un vrombissement du à une foule innombrable s'agglutinant autour de lui, le bruit allait grandissant. Gorth saisit alors ses dernières forces pour creuser du mieux qu'il put dans ce sable sec. Il y étendit son manteau et ouvrit ses gourdes. Vint la première goutte...puis c’est presque un déluge qui se déversât sur lui. Le bassin ainsi fait lui permit de boire à sa soif, remplir ses gourdes et se sentir presque propre. Sans y voir un signe quelconque des Dieux, Gorth savait maintenant que la décision était la bonne. Alors que derrière lui, les fleurs du désert s'épanouissaient déjà, des constructions humaines apparaissaient à son horizon... Quelques pas de plus amenèrent Gorth à considérer ces édifices comme de simples ruines battues par les vents, s’il s'y trouvait de la vie, cela ne devrait pas dépasser la taille d'un insecte. Gorth s'arrêta à deux jets de pierre de la première bâtisse, s'accroupit, sortit ses runes, pria le ciel et les lança à hauteur de son regard... Quatre furent lancées, trois retombèrent profilant un triangle parfait, la quatrième retomba sur la première se maintenant ainsi en équilibre. Parmi toutes les configurations possibles, celle-ci était sans doute une des moins probables. Voilà en quelques mots ce que Gorth comprit : Mort, toutes les morts, et Vie qui ne tient qu'à un fil. Sa résistance au Chaos a une limite. Ce présage n'amènerait rien de bon... Il fallait néanmoins avancer...
A mesure de son avancée, Goth découvrit entremêlés dans le sable sans même un semblant d'ordre quelques crânes et autres os humains au milieu de ces pierres. La ville avait du être riche pour qu'autant de bâtiments soient ainsi construits. Il n'y avait bien que le temple qui était fait de pierre dans son village et encore dépassait-il à peine la hauteur d'un homme. Nul n'aurait pu dire depuis combien de temps le sable faisait preuve de sa domination sur la ville, mais constatant qu'il recouvrait jusqu'au dernier étage de la plupart des édifices...Un évènement d'une rage folle avait du marquer la fin des temps pour toute une population... A part le vent qui sifflait dans les rues, nul âme ne vint accueillir Gorth...Après le désert des dunes, c'est un désert de ruines qui s'ouvrait à son regard. Si les derniers souvenirs de son village le laissait vibrant de colère vengeresse après l'odeur du sang, la vision des corps démembrés, les cris des torturés, ici il en était curieusement de même, la peine et la souffrance sourdaient de ces lieux.
Au centre de la ville, un obélisque couleur du sable qui ne semblait pas avoir trop subit les outrages du temps laissait voir quelques glyphes. Un mandala noir empourpré dessinait la silhouette divine et sombre de quelconque dieu ricanant devant l'insécurité éprouvée par les hommes affalés en masse à ses pieds, se prosternant tous, du plus humble au plus décoré... Au dessus de toute cette masse néanmoins, un soleil percé d'un œil entrouvert semblait observer avec indifférence la situation. Devant cette vision effrayante, Gorth recula d'un pas. Un choc sourd accueillit Gorth, des étoiles dans les yeux, le sol venant à sa rencontre et le vide... C'est la tête en feu que Gorth se réveillât sans aucun indice lui permettant de se localiser, sa geôle était plongée dans le noir intégral. Nulle lueur de toute part, nul son. Cherchant à tâtons de tout coté, Gorth désespéra de trouver une porte, il finit par s'endormir en chien de fusil, ne pouvant ni s'allonger ni se mettre debout en entier. Du temps passa enlevant à Gorth tout repère car c’est aussi de manière non régulière qu’un peu d'eau, un peu de pain arrivaient, toujours lorsqu'il dormait comme s’il était surveillé ou si la nourriture contenait quelques soporifiques.
Quelques jours plus tard, Ghort fut réveillé par la voix cristalline et pure d'une femme. Accompagné de cela, la surprise de comprendre le chant...Il n'était donc pas le seul survivant de son peuple... Voici le chant souvent utilisé lors des funérailles du chef de bataille par les prêtres guerriers :
Le soleil larmoyant résonnait au creux de l’horizon
De plus en plus enfoui, honteux en vermillon.
Espoirs en loques, rêves lambrissés de peines,
Echeveaux fougueux descendant le mont Teigne
S’étaient réunis face au vent du nord comme pour,
Interroger leur prochain pas hésitant comme pour,
Diviniser leur destinée chaotique et branlante,
En tourbillon autour de soi, en danse lente
Celle du couteau matricide qui frappe l’autre
Se frappe lui, le rebus inusité, le Nôtre.
Le silence revint, plus pesant encore et il finit par s'endormir. En absence de tout stimuli, il ne savait même plus s’il dormait...Tout démarra alors comme dans un songe, ce fut d'abord l'idée de lumière qui se fit sentir avec un léger souffle d'air chargé de parfums de fleurs avant que Gorth eut conscience qu’un pâle rayon se dessinait révélant enfin la porte. Doucement et prudemment, Gorth s'approcha, guettant le bruit des pas de son gardien, il n'entendit rien d'autre que le vent qui roule sur la terre, il poussa alors la porte qui, sans un grincement, s'ouvrit... En arrière plan, le vert sombre d'une forêt sans âge, et à ses pieds, une rivière éclatant de soleil. De son coté, sur la berge, quelques barques de pêcheurs, encore pleines de leurs trouvailles. Plus en avant encore, des maisons en torchis et toit de chaume provenaient le bruit de bienvenues des femmes et des enfants à leurs maris revenus. Nul édifice en pierre dans ce village à part ce curieux obélisque qui à ses pieds dévoilait quelques salles. Il serait difficile de dire s’il s'agissait du même obélisque, car la pointe était désormais hors de portée, mais, les glyphes semblaient appartenir au même langage ou symbolisme. Avait-il voyagé par delà l'espace ou bien...par delà le temps?
Reprenant un peu à ses esprits, et pensant à sa chanteuse merveilleuse, il alla examiner les cellules avoisinantes. Ce fut dans celle de droite qu'il vit un squelette partiellement recouvert de lambeaux de peau ou de vêtements, cela pouvait être elle. S'approchant plus près encore, il découvrit un collier avec un médaillon uniformément rouge d'une chaleur indicible. Comme guidé et sans l'ombre d'une hésitation, il le mit à son cou. Le collier semblait bien plus lourd que prévu. C’est en relevant la tête que Gorth se vit encerclé par les gens, indigents, femmes et enfants, avec dans les yeux, l'espoir, et sur le visage, un sourire carnassier. Il ne les avait pas entendus arrivés ainsi dans ses pensées. Soudainement quelqu'un se mit à crier, d'un de ces hurlements de loups aux abois, cri qui fut vite repris par tous, pris de panique, il se mit à crier aussi en tournant sur lui-même. Ce fut alors la peur qui sembla s'emparer d'eux. Les bouches se fermèrent stupéfaites. C’est alors que la foule se fendit en deux, un homme d’une carrure qui mêlait force et majesté arrivait vers lui roulant des épaules, la tête haute et fière. Projetant son regard dans celui de Gorth avec défi, il s'accroupit sans le quitter des yeux, une main fermé sur le torse, l’autre ancré dans la terre. Puis il se mit à psalmodier dans un vieil idiome, qu'il ne pensait réserver qu'aux prêtres et à leurs secrets. Fils du prêtre des Gardiens, il put en comprendre quelques bribes…
"Le messager est là, qu'il ouvre le chemin pour son peuple, lui qui sait l'écriture du très haut, qui a le secret des dieux et la foi de nos ancêtres, Préserve nos âmes." Gorth, déboussolé par cette révélation, se retourna, vit l'obélisque derrière les rangs de la foule et se remit à espérer...Peut être qu’il contenait le savoir qui apportait le salut à ce peuple. Il s’avança alors, la foule s’agenouilla à son passage, la tête toujours tourné vers lui. Arrivé près du monument. Gorth distingua un grand nombre de symboles. Suivant seulement son instinct, il mit la main droite à plat sur une étrange lune au regard fermé tandis qu’il serrait le médaillon dans l’autre... Le monde vacilla et bascula...Gorth se réveilla allongé sur ce qui semblait être un lit dans un dispensaire. Il essaya de se relever. Contrairement à la première fois, bien que nauséeux, aucune douleur à la tête le surprit.
« Hé, le 27 bouge, on dirait, va voir toi.
_ Hum.
_ Hé, on se réveille enfin ?
_ Où suis-je ?
_ A l'hospice de Gartagasse, tu sais qui tu es ?
_ Je... je suis Gorth.
_ En quelle année ?
_ La troisième du faisceau obédient.
_ Hé, Darrault? Le 27 a pris un sacré coup! »
Gartagasse devait être un descendant de l'empereur Tagasse, ainsi, contrairement à ce qu'il pensait, il était dans un avenir plus ou moins proche... Tagasse gouvernait les contrées de la Thuranie, du Naghellan et de la Farfarlaie. Mais il devait y avoir eu de grands bouleversements politiques pour qu'il puisse étendre son pouvoir en Alesai pays protégé par les hautes montagnes Blanches et la mer Intérieur...
« Où sont mes affaires ? S’enquit Gorth
_ Là où on t’a trouvé. Elles étaient complètement pourries.
_ Où est ce là ?
_ Dans le désert, j’en sais pas plus, c’est pas moi qui t’aie trouvé. On va te donner un vieil uniforme en attendant que tu t’enrôles officiellement. Tu te demandera aux gardes à ta sortie d’ici quelques jours.
Après quelques jours pour se remettre du choc plus temporel que physique, Gorth put enfin sortir du dispensaire. Il se trouvait dans un camp militaire où l’ordre tentait de s’établir en dépit de la boue, davantage générée par le nombre incroyable des soldats marchant par les mêmes chemins que par les rares pluies qui s’étaient abattues lors de sa rémission. Au loin un désert à perte de vue, le camp se trouvait dans une sorte d’oasis.
La plupart des gens semblait parler le Grayen, langue commune des peuples de l’ouest, là où se trouvait le fief de l’empereur. Le sien était un peu rouillé mais il lui fallait un endroit où vivre le temps de comprendre de quoi il en retournait. Il décida d’abord de se promener pour prendre connaissance du camp. On pouvait en apprendre beaucoup au détour des conversations. La plupart avait pour nature l’attente de la solde, l’impatience de rentrer au pays, de quitter cette boue pour dormir au sec, avec le sentiment de ne rien comprendre vraiment à leur situation. Le camp était arrangé en plusieurs cercles concentriques. La tente de l’officier supérieur en son centre avec un cordon de sécurité qui s’étendait sur un rayon de trois tentes, puis un second cinq tentes plus loin. Au-delà, quelques boutiquiers, traine-misères et prostituées vendaient pour les plus riches de quoi améliorer l’ordinaire ou bien pour les plus superstitieux, quelques charmes censés éloigner le mauvais œil. Gorth put aisément s’infiltrer jusqu’au premier cordon mais fut vite arrêté.
« Qu’est que tu fiches là ? »
_ Je cherche le cuisinier.
_ T’es nouveau toi ? Jamais vu et pis tu saurai qu’on mange pas quand on veut ici mais quand le tambour sonne.
_ Heu oui, je sors de l’infirmerie, je pensais pouvoir gratter un bout.
_ Mais bien sur, tu m’prend pour un bleu ? t’es pas le premier à nous faire le coup, t’sais?
_ Va voir Mayol, la première tente avec le fanion, c’est le r’cruteur, on manque toujours de volontaires. Suggéra le second garde.
_ Merci…»
Gorth ne pouvait même pas tenter de quitter le camp en douce ainsi vêtu comme un simple soldat. Soit il devenait un de ces porteurs de lanternes ou bien il s’enrôlait pour une cause obscure. Il lui fallait survivre pour savoir qui se jouait ainsi de lui. Il se dirigea donc vers la tente de l’enrôleur…
« M’sieur Mayol ? »
« Hum ? Une nouvelle recrue, volontaire en plus, c’est bien rare de nos jours. Bon, c’est quoi ton blaze ? »
« Gorth »
« Bien, tu signes là, c’est un deni par semaine, nourriture et logement compris. Au début, ça te permettra d’acheter ton équipement et après à le jouer aux dés. On a pas tellement d’autres moyens de passer le temps ici. Pour le logement, faudra te démerder pour te trouver une place dans le camp, si tu te fais piquer tes fringues ou tes biens, faudra pas v’nir te plaindre, c’est que t’aura pas été vigilant c’tout. Ah oui, encore une chose, les babioles, genre que tu portes au cou, sont normalement interdites. En ce moment, vu l’moral des gars, on laisse aller, mais le porte pas en drapeau non plus. Compris ? »
« Et pour l’équipement ?
_ Tu trouveras l’nécessaire autour du camp. »
Sur le papier que Gorth avait signé, l’année était inscrite, nous étions dans la quatrième du rayon pourpre. Un siècle s’était donc passé. Gorth alla observer le marché, histoire de se familiariser avec cette nouvelle monnaie. Très vite, il se rendit compte qu’avec un deni, il n’aurait guère droit qu’à une miche de pain, le prix d’une couverture étant environ de dix denis.
« Hé toi ! Tu as besoin d’un prêt me semble-t-il.
_ C'est-à-dire, qu’il me faudrait de quoi dormir cette nuit mais je n’ai qu’un deni
_ Bah, c’est pour qu’ils se donnent bonne conscience. Je te la fais à quatre deni, et tu me rembourseras petit à petit. Avec les intérêts, disons que dans cinq semaines, ta dette sera effacée. Ca te va ?
_ Faut bien…
_ On a toujours le choix, mais tu trouveras pas moins cher ailleurs, c’est sûr. »
Il lui fallait désormais trouver une place dans le camp, le mieux serait sans doute le plus proche du premier cordon de patrouille, pour ne pas être soumis au bruit des rixes qui ne pouvaient pas ne pas avoir lieu et avoir sa tente peut être davantage surveillée que si elle se trouvait en plein milieu des autres. Cela dit, ce n’était guère évident, rien ne laissait supposer une plus grande honnêteté chez les patrouilleurs que les autres. Au bout de quelques heures, Il trouva une tente avec un emplacement libre, plus petit que tout autre certes mais ça serait suffisant. Il ne comptait pas y rester le plus clair de son temps.
« Hé on dirait bien que la place de Urle ne va pas avoir le temps de r’froidir, maugréa un grand type émacié.
_ Urle était un gars bien et prudent aussi, jamais une parole au dessus de l’autre, il buvait pratiquement pas et avait amassé un joli pécule pour la suite, et ça l’a pas empêché de se faire cueillir comme une mouche par les grands caverneux du nord. Pff, sale engeance que ces bestioles. »
Il s’appelait Albur, derrière lui un gars massif au regard vif, les cheveux ras se nommait Kiet’al. Si Albur ne semblait pas très causant, son camarade ne semblait pas pour autant s’en laisser conter facilement.
« Ici les choses sont simples, tu fais ce qu’on te dit et t’aura pas de blème. Annonça Kiet’al
_ Vous savez pourquoi on est là si proche du grand désert ?
_ Pour le traverser pardi, de l’autre coté, parait qu’il y a des montagnes de vivres, vins et femmes, de la nouvelle terre à cultiver, de quoi recommencer une nouvelle vie enfin… nous devions déjà trouver ça ici mais, tu vois où nous sommes…
_ Comme t’es un bleu, tu seras corvée de linge et de rangement, une bonne manière de te familiariser au camp.
_ Hum. Que sont les caverneux du nord ?
_ T’es vraiment un bleu toi, pourquoi il y a autant de patrouilles à ton avis ? Ces bestioles sont grosses comme mon poing mais peuvent autant surgir de terre derrière toi pour te sectionner tes tendons comme te sauter au visage alors qu’elles sont à trente pas au moins. J’en ai tué une, une fois, je me suis brûlé la cuisse à cause de leur saleté de venin. Il y a encore quelques années, ce n’étaient que des bêtes de légendes, aujourd’hui, elles nous poussent hors de nos terres. Elles sont toujours plus nombreuses, toujours plus téméraires. Si le camp était moitié moins grand, nous aurions déjà rejoint Urle. »
Il y avait dans la mythologie de son village, une seule créature qui semblait correspondre à cette description. On les appelait les Belzés, jamais au singulier. Elles étaient reliées au temps du ragnarok, celui de la fin de toutes les fins, d’autres disaient que c’était le temps du grand bouleversement, car la vie et le temps des Dieux, lui-même, n’était qu’un cycle… Elles se faisaient ainsi les messagers du Chaos, s’adaptant infiniment à toute tentative de destruction. En tuer revenait à susciter leur colère et leur vengeance. C’était comme si chacune des créatures n’était qu’un membre d’une communauté, la perte d’un des leurs était aussitôt ressentit par les autres… terrifiant.
_ Dans mon village, on les appelait les Belzés.
_ Hum jamais entendu, tu viens d’où ?
_ Par delà les montagnes blanches…
_ Pourquoi tu es là alors, il paraît que sans les guerres entre notre empereur et le patriarche, nous pourrions être tous en sécurité là-bas…
_ Parce que, tout ne se passe pas comme on le dit.
_ Ouaip, c’est moche. Fit-il en faisant semblant d’avoir compris.» Gorth eut la vive impression qu’ici, tout le monde avait quelque chose à cacher…
Ainsi, non seulement, c’était un camp de réfugié contre ces calamités mais également l’armée de contre-invasion du patriarche. Si on se préparait à traverser le désert, Gorth ne pouvait pas dire que c’est de là qu’il venait, autant se faire pendre directement. Il faudrait qu’il se renseigne sur le courant des religions, beaucoup de choses avait du changé. Il se souvient que déjà enfant, de nombreuses croisades vers les Iles centrales, soi-disant lieu de naissance de tout les divins mais aussi de tout les démons pour d’autres, déchiraient les pays, si ce ne sont pas les peuples au sein même d’une caste ou d’une famille qui guerroyaient. Des petits seigneurs jusqu’aux grand Comtes se mobilisaient pour peut-être avoir la chance d’explorer ces Iles si spirituelles. Elles l’étaient tellement d’ailleurs que personne n’en était jamais revenu, et c’était même à douter de leurs existences. Les batailles se déroulaient usuellement sur la terre ferme ou encore dans les ports… aucun navire n’avait jamais pu quitter encore les quais…Il y avait toujours un acte de sabotage qui pouvait parfois venir de l’armateur lui-même. Une époque de folie qui ne semblait pas être révolue…Voyant un symbole dessiné sur la couverture de Kiet’al. Gorth sut comment s’acoquiner ses camarades ; il demanda où l’on pouvait prier.
« Chais pas de quelle confession tu tiens… Lui répondit Albur dans un grommèlement.
_ Je suis un dualiste du Pourtour céleste et vous ?
_ Tu as trouvé le bon coin alors, tu verras une tente avec les symboles de Vie et de Chaos à l’entrée du camp vers l’ouest. C’est bientôt l’heure de l’office d’ailleurs. Tu as ton Manteau ?
_ L’infirmerie me la prit ou l’on laissé lorsque ils m’ont trouvé.
_ Ces infidèles du Redoute nous font toujours des crocs de jambes. Enfin, ils nous soignent, c’est déjà mieux que la plupart de leurs confrères. On te trouvera certainement quelque chose en attendant que tu le confectionnes alors. »
C’est à l’office que Gorth fit la rencontre de son supérieur et bien que la même foi aurait du conduire à davantage de complicité en ces temps de troubles, celui-ci du nom de Julieu Farth jugeait opportun de mettre à profit la hiérarchie pour se vautrer dans la prétention et l’abus du plus faible, un opportunisme de premier choix en somme. Et c’est tout naturellement donc que ce dernier n’eut pour Gorth qu’un simple regard actant de sa prise de connaissance.
Du temps passa sans grand nouveauté au camp, on comprenait mieux le laisser-aller des soldats lorsque aucune nouvelle plus importante que l’incendie d’une tente par simple imprudence et non par malveillance avait lieu.
C’est Kiet’al qui au milieu de la nuit le réveilla. Kiet’al aspirait à devenir sergent et pour cela travaillait dur comme patrouille et messager en sus de ses corvées quotidiennes. Et Gorth comprit mieux pourquoi le ton de Kiet’al paraissait si hostile au milieu de la nuit…
« Quelqu’un là-haut veut te parler…
_ Où ça ? »
_ A la grande tente, donne leur ça. »
Il lui donna un laisser passer.
Des questions pourraient peut-être trouver leurs réponses…
« Gorth, nous savons qui tu es et pourquoi tu es là… »
Saisissant, il était presque ironique de penser qu’ils en savaient plus que lui-même…
« Ainsi, nous savons que tu viens du nord pour t’informer des dispositions prises en compte pour survenir à notre déclin… Nous ne le laisserons pas faire… Nous ne pouvons pas te tuer pour autant, trop d’incidences en découleraient et soulèveraient la suspicion chez les troufions. Alors bon, nous n’avons pas encore découvert comment tu communiquais avec tes seconds… C’est pour ça que nous t’envoyons au sud en éclaireur avec quelques autres. Tu seras conduit par un tiers à l’extérieur du camp. On te donnera ton paquetage… Tu pars ce soir. Ainsi éloigné de tes pairs, la menace que tu représentes disparaîtra. On pourrait aussi bien t’éliminier sur le champ mais nous ne tenons pas à ce que tes complices soient au courant…»
Le capitaine Paulo Grajik ne laissa place à aucune réplique.
Quelques heures plus tard le revoilà parti avec ses « nouveaux compagnons », c’est non sans surprise qu’il se vit avec Kiet’al qui pour le coup était heureux de cette nouvelle marque d’intérêt de ses supérieurs. Tous n’avait pas du entendre le même discours. Les trois autres compères ne partageaient rien de commun. Aucune confession, aucune patrie, aucune culture, et même le langage n’était qu’approximatif… Une façon comme une autre de les condamner secrètement sans qu’aucun ne dusse mettre la main à l’épée.
C’est à l’aube, après les présentations qu’ils partirent vers le sud… Gorth espérait que Tamal'hik était encore parmi eux…Gur’al de la Presqu’île de Thur, Canonis le Guelte et Arangadir de Ploie. Tout trois étaient de confessions différentes.
La presqu’île de Thur était connue pour le culte du sang, non celui des barbares du grand nord qui poussait son peuple à se sacrifier sur l’autel des dieux mais son antonyme le plus complet. Les Thuréens ne répandaient le sang que celui de la naissance, toute blessure devenait alors le toucher du divin. Il n’y avait sans doute pas religion plus pacifiste. Avec le sang, venaient les pulsions de vie et l’enfermement dans la crainte de la souffrance. La mort devenait alors une libération. La vie était alors vue comme une épreuve qu’il fallait passer. Le suicide ou le meurtre étaient vraiment très mal vu puisque c’était empêché la libération de l’âme et la contention du sang dans l’enveloppe de chair.
Canonis le Guelte était un frontalier de Gur’al. Il croyait en somme au même mélange contenu si ce n’est la nécessité dans la vie de répandre le bien autour de soi et échappé à une nouvelle existence terrestre. Le cycle de la réincarnation étant vu comme l’enfer. L’énorme point de désaccord était l’immortalité de l’âme pour Canonis et la mortalité de toute chose pour Gur’al. Il s’agissait en tout cas de deux peuples très pacifistes. Il était curieux de retrouver des émissaires aussi éloignés de leur pays dans un conflit sans réel substance, pour Gorth tout du moins.
Arangadir était sans doute le plus éloigné de toutes les autres par sa croyance au divin ancré dans le vent. Car c’est sous le vent que pouvait naître tout mouvement. Sans doute par le fait d’appartenir à un peuple marin, cela pouvait s’expliquer. Il était curieux de penser que l’eau n’avait rien de plus sacré que cela pour eux…Cette religion était fortement répandue aux abords de la mer Intérieur et de l’Océan du Vide se trouvant à l’est de l’Alasaïe. Cette religion prônait le mouvement parfait et l’harmonie infinie, c’est pourquoi leurs moines guerriers avaient un style de combat très particulier faisant d’eux des soldats bien souvent respectés.
Au contraire, la dualité du pourtour céleste était une des plus vieilles religions du continent et sans doute une des plus compliquées dans les contradictions qui venaient des atermoiements de l’histoire. Pour faire simple, elle surimposait l’image d’un dieu vengeur et donc guerrier à celui d’un dieu de la vie et donc amical dans des rapports très codifiés.
Aucun infidèle de la Redoute, c’était déjà ça…Ces gens étaient des nihilistes intégristes dont il était difficile de faire entendre raison. Leur religion n’avait pas de nom. Car le nom était lui-même une hérésie. Le nom de Redoute était alors resté pour les désigner tant ce sentiment était fort chez les populations attendant leurs attaques il y a quelques siècles.
Après ce petit cours de religion, il était temps pour eux de se repérer et de remplir la mission s’il en s’agissait vraiment d’une. Ils attendirent le lever du soleil, ainsi marcheraient-ils vers le sud avec assurance. La journée fut éprouvante à travers le désert, quelques minutes de repos à l’ombre des dunes de temps en temps pour leur permettre de boire fut leurs seules pauses de la journée. Le sable avançait vite et on comprenait mieux l’image d’un océan donné par Arangadir. La nuit fut fraîche et très calme après une journée très chaude à travers le chant des dunes. Ainsi durent-ils faire une trentaine de kilomètres avant d’arrivée à un poste avancé protégé par un puits et quelques palmiers dattiers. A sa vision, Gorth fut pris à partie par Kiet’al.
« Je ne crois pas que nous soyons partis pour être enterrer.
_ Que t’ont-ils dit ?
_ Comme à chacun, je pense, mission de reconnaissance, jouer les éclaireurs
_ Et ?
_ Si on avait du être évincer, nous l’aurions été autrement, et puis pourquoi nous faire partir si précipitamment sans nous laisser le temps de prendre notre paquetage. Tout cela était trop bien préparé…
_ Je pensais la même chose, de plus, on ne met pas des gens d’origines aussi diverses sans raison…
_ Une idée ?
_ Pas pour l’instant, il faudra être patient.
Arrivant plus près, avec un accent très rocailleux, un homme dans la trentaine les héla.
_ Ah vous voilà enfin, ce n’est pas trop tôt, c’est qu’on a plus grand chose comme vivres ici.
_ On nous a rien dit de plus que d’avancer vers le sud… Des vivres ? pas plus que ce que nous pouvions chacun porter…
_ Quelle bande de couillons, c’est la deuxième fois ce mois-ci qu’ils nous font le coup, j’espère que vous aimez les dattes. »
Installé sommairement au pied des palmiers, le camp se composait d’une dizaine de personnes affairées à rien de précis au prime abord. Une observation plus poussée attira Gorth à considérer leur travail comme celui de dépoussiérage et de recopiage de textes.
« Hé, tu m’as l’air un peu éclairé de la lanterne que tout autre toi ! » Il faudra que Gorth se montre plus vigilant.
_ Je me demandais ce que faisait un poste avancé ici…
_ Ho, bonne question, de simples fouilles , mais viens plutôt par là, tu vas me dire ce que tu penses de ça. »
Attiré dans sa tente, il se fit présenter de vieux vélins sur lesquels des symboles vaguement reconnaissables par Gorth semblaient avoir été tracé avec une encre rouge. Sans doute, venant d’un poisson des rivières au sang bleu qui s’oxydant devenait d’un beau cramoisie.
« Je n’en reconnais aucun, désolé.
_ Comme chacun d’entre nous, personne ne sait ce que nous avons découvert. Nous pensons à une civilisation disparue bien sur. Avec ces vélins, peut être pourrons nous trouver la clef de cette énigme…
_ Et en quoi est ce important en ces
de troubles ?
_ Tout pourrait reposer sur ce que nous pourrions découvrir. Nous sommes aux portes d’un gouffre, savoir lire les inscriptions se trouvant sur le linteau est capital. Qui sait ce que nous pourrions trouver de l’autre coté du désert ? Nous sommes pressés de toute part certes mais nous devons être méfiants. »
Gorth ne savait pas quel statut avait Hirjile l’historien dans le commandement du camp, mais, autres choses devaient se tapir dans le coin. Et ces informations n’étaient que parcellaires dans ce qui semblait opposer, l’Irréel et le Chaos au monde des hommes.
Gorh fut tiré de second quart à l’oasis : le moins agréable pour passer une nuit correcte. Néanmoins, il le partagea avec Kiet’ al pour qui une certaine habitude naissait.
« Bizarre de trouver des ruines au milieu du désert, non ?
_ Il a put se passer beaucoup de choses ici comme il s’en passera encore beaucoup.
_ Hum, loin de la doctrine du Pourtour, ta réflexion.
_ Tu as vu avec qui nous devions faire équipe ?
_ Ouaip, drôle d’époque. On se demande pourquoi il y a ce besoin de se réunir et en même temps, cela n’a pas empêchés certains alliés de tout temps de se chercher des poux. L’empereur a finalement eu raison de tous ces différends et c’est sous l’unification que tout s’est mis à dérailler. Seul le patriarche s’en est gardé. Tu ne t’es jamais demandé pourquoi vous n’aviez pas souffert des croisades impériales ? Gartagasse nous a fait tellement traverser de contrées hostiles, à pieds ou en en bateau que je n’imagine pas pourquoi quelques montagnes l’ont effrayé.
_ Il y a très longtemps, si longtemps qu’il s’agit peut être que de fariboles ou légendes, un sceau empêcherait à quiconque porteur de mauvaises intentions de passer les cols les plus accessibles. Ne resterait que les chemins des chèvres pour traverser les montagnes. Le patriarche a peut être trouvé un moyen pour réactiver la frontière.
_ Hum, bizarre de quitter un pays où tu étais tranquille alors …
_ La loi est intraitable pour ceux qui la violent. »
Kiet’al ne poussa pas plus loin son interrogatoire. Il y a certaines choses qui doivent rester cacher. Partager un secret est rarement chose agréable surtout si il demande une quelconque responsabilité.
« Et l’Empereur ? reprit Gorth pour détourner la conversation.
_ Jamais vu, à chaque fois que j’ai posé la question, on me répondait invariablement qu’il était soit en vadrouille exploratrice, sont en ses quartiers. Mais c’est un méfiant. Lorsqu’une escouade impériale quitte le camp. Il n’y a jamais moyen de savoir si en effet il s’y trouve. Et de plus, trois ou quatre autres ont le rôle de leurre.
_ Assassinat ?
_ Des tentatives avortées… Elua Kiet’al »
C’est juste avant la relève que Gorth perçut à l’extrémité de son champ de vision, une ombre blanchâtre comme la lune. Le temps de tourner la tête, elle avait disparue. L’air dans la nuit s’était soudainement réchauffé comme devenu lourd. Quelques secondes passèrent sans un bruit comme si tout air avait été aspiré et puis une des tentes les plus éloignées sembla se consumer de l’intérieur à une vitesse sidérante. Il fallut moins de quelques secondes pour qu’elle ne soit entièrement que cendres. Ses habitants ne semblaient même pas avoir eu le temps d’en souffrir. Gorth courut vers elle,jouant avec les ombres des palmiers projetées par les flammes. Son amulette lui piquait la poitrine et semblait battre son rythme propre comme si elle prenait vie. Plus il s’approchait de la tente et plus elle le brûlait. A quelques pas de la tente, pas un signe de vie cependant. C’est alors qu’une explosion effroyable déchira le silence de la nuit. Gorth plongea ventre à terre évitant ainsi la plupart des débris. Puis une couronne de vent sembla naître du centre du camp soufflant le moindre des feux. Il avait fallut quelques secondes pour se retrouver au milieu de ruines fumantes. Gorth cria au alentours et Kiet’al répondit en écho. Ils se retrouvèrent. Il était lui aussi sain et sauf. Ils partirent alors à la recherche de survivants, fouillant les décombres. Ils découvrirent l’historien affalé, couvert des vélins et vivant. Arangadir quant à lui gueulait comme un porc, se couvrant l’œil percé d’un débris de tente des deux mains. L’aube se leva sur un champ de décombres, les dattiers ne semblaient avoir aucunement souffert des forces mises en jeu.
Ils n’étaient plus que quatre. Les caverneux du nord ne pouvaient en aucun cas être la cause du désastre. Elle relevait cependant de la Frontière. Les cadavres étaient vitrifiés sous le feu de l’enragée et folle explosion magique. Gorth se demandait comme il avait pu en réchapper sinon par la chance d’être dehors ainsi que Kiet’al. Arangadir pouvait être dehors puisqu’il était de la relève mais l’historien restait un cas inexpliqué. Hormis les vélins découverts, les blocs de pierre étaient partiellement fondus rendant toutes traces d’inscriptions confuses. Gorth se devait de rester prudent même si il était relié par quelconque obscure lien avec ces évènements. Il devait être méfiant en en révélant le moins possible.
Il se trouvait que Kiet’al n’était pas ce qu’il paraissait. Il s’était joint à cette expédition dans le but de purger l’hérésie en tant qu’excommunicateur de son prieuré. Il avait su se préserver de cette magie en faisant appel à la protection de son Dieu…
Arangadir pour sa part était le grand Scribe de la Flibuste. Sentant dans l’air quelque appel de magie. Il n’avait eut que le temps d’écrire dans le sable le symbole du son gardien. La précipitation de son invocation rendant imparfaite son écriture lui avait coûté son œil.
L’historien explique que pour sa part, les vélins avaient joué comme un rôle de talisman. Le collier ou le pendentif de Gorth avait dû faire de même.
Ainsi deux maîtres en arts magiques, un chanceux et un « possédé » ou du moins manipulé faisaient face à quelques sombres machinations.
Hirjile expliqua ce qu’il se passait ici :
« Il y a beaucoup de magie de part le monde, disons, beaucoup de manière de faire appel à elle. Mais ça vous le savez déjà. Cela fait maintenant six mois que les vélins ont été découvert et me protègent. D’autres compagnons sont venus ont été soumis à …l’épreuve si l’on peut dire, ils ont survécu ou pas. Votre potentiel a été préalablement déterminé au camp et voilà pourquoi vous vous êtes ici maintenant. Le prévoyant nous en a informé. La sélection a été faite. Il semble que la magie faisant appel aux inscriptions semble fonctionnée contrairement à celle des éléments. Les magies de l’âme ont rarement la force de résister. Kiet’al ? Surprenant. Gorth, tu n’as a priori aucune connaissance de la magie et pourtant tu as survécu…
_ Qui était derrière cette attaque ? coupa Arangadir.
_ Personne, nous nous trouvons simplement à un nœud de puissance, c’est donc de manière cyclique que le camp se fait rasé et consumé dans les flammes et le vent. Toujours au tiers de la course de la lune.
_ Si nous vivons ça, c’est qu’un dérèglement est survenu. Mon boulot est de rassembler les personnes qui survivent et qui ont donc le potentiel pour découvrir le levier qui permettra d’équilibrer les puissances. Nous allons désormais rejoindre le camp de l’empereur. Là bas, nous aviserons. »